La crise qui est à son comble en Grande Bretagne est du type « Pirates des Caraïbes » ; point de trophée pendant longtemps, alors quils ont à maintenir leur standing…. La politique néolibérale a miné le peuple le plus coriace de la planète, les Britanniques rougeauds et sûr deux-mêmes, durs à la tâche, prudents, obéissants, le peuple qui a été capable de gouverner lInde, de brûler la Maison Blanche et de résister à Hitler. Leur colonne vertébrale – les mineurs du Yorkshire et les sidérurgistes de Sheffield – a été brisée par lépicière en gros de Golders Green [connu comme le quartier juif de Londres], surnommée la Dame de Fer. Elle a fermé les industries et a changé les Iles Britanniques en un paradis pour pirates, un endroit où les financiers viennent se détendre, dérouler entre eux leurs cartes, et planifier leurs raids.
LAngleterre est devenue la société la plus impie du monde. Des bus portant le logo « Dieu nexiste pas » circulent dans Londres. Au théâtre du Globe, des Mystères sont joués, prétendus être les reprises de la production de Tony Harrisson de 1977, laquelle sinspirait duvres médiévales mais, par opposition à la production de ce dernier et au vieil original, ces reprises-adaptations actuelles sont ouvertement anti chrétiennes. Au lieu du grand prêtre juif et de sa coterie, les méchants sont des prêtres chrétiens en grande tenue sacerdotale.
La Sainte Vierge est représentée comme une jeune dévergondée dans une robe bien courte. Pas une seule voix de protestation na retenti dans toute lAngleterre. Mais vous pouvez être certains que si Deborah Bruce qui assurait la mise en scène avait mis les rabbins prévus dans les textes dorigine à la place des prêtres, vous nauriez jamais entendu la fin de lhistoire.
En Angleterre résident les Al Fayed (Mohamed Al Fayed dassez mauvaise réputation) et les Abramovich, et des millions dimmigrants qu’ils font venir pour être à leur disposition.
Les Anglais fournissaient des services financiers, géraient des sociétés de surveillance, faisaient payer très cher lenseignement dans leurs écoles. Le pays a voulu faire du haut de gamme et a perdu sa base industrielle, exactement comme les Hollandais adorateurs de la tulipe le firent au 19ème siècle. Maintenant, à moins de pratiquer le brigandage, ils nont plus rien pour les faire vivre. Ils ont besoin de tondre les étrangers juste pour joindre les deux bouts.
A présent ils sont frappés par une crise de confiance. Non seulement les gens ordinaires éprouvent le sentiment de sêtre fait rouler une fois de trop, mais les puissants et riches étrangers partagent ce sentiment, particulièrement fort en Russie et dans les autres Etats post-soviétiques, dans les pays qui produisent du pétrole, dans des pays qui ont une industrie nationale. Ce sentiment sest traduit en action :
– Hugo Chavez a exigé quon lui restitue (physiquement) son or.
– Vladimir Poutine sest déclaré candidat au poste de Président.
– Le ministre des finances russe Alexei Kudrin, le principal promoteur du Fond Souverain russe (au sens restreint il sagit des réserves de devises placées à létranger) a été viré.
– La Russie a décidé daugmenter largement ses dépenses militaires ; cest une retombée de la guerre contre la Libye.
Le destin de Kadhafi plane, tel lesprit tourmenté du père dHamlet, sur bien des bureaux présidentiels et dirigeants. Le guide libyen avait amassé une belle fortune, une partie pour lui-même et sa famille, une partie pour son peuple, il lavait placée dans différentes banques, fonds, et tiroirs, et il sest avéré quà la place de ses dollars il aurait pu amasser autant de feuilles rouges dérable, de façon plus sûre et plus satisfaisante!
D’un claquement de doigts, les Etats-Unis et leurs alliés ont gelé ses avoirs avant de les lui voler. Certains actifs ont été donnés à des Libyens arbitrairement choisis, appelés « rebelles de Benghazi », une autre partie a été utilisée pour payer les barquettes pour chien qui ont eté transportées par avion à Tripoli pour nourrir les gens dépossédés par les frappes de lOTAN.
Ce fut le plus grand détournement jamais réalisé au préjudice dun Etat souverain mais aussi le plus grand pillage de fortunes privées. Et cela a donné à bien desvilains avares une leçon qui est une vérité dEvangile : nentassez pas vos trésors sur terre, où les escrocs sintroduisent par effraction pour vous les dérober. Ce gens pensaient quils pouvaient trouver une asile sûr à labri des gouvernants despotiques, des masses rebelles et des voleurs ordinaires, en plaçant leurs fortunes dans les coffres des gnomes suisses, ou autre lieu réputé civilisé. Maintenant ils ont appris que largent électronique aux Iles Caïman nest pas plus en sécurité que les billets pliés de 20 dollars cachés sous un matelas.
Quel choc !
Pourquoi cela provoque-t-il une crise? Ce sont les officiels corrompus et les magnats d’ailleurs, c’est-à-dire basés hors des Etats-Unis et de lEurope occidentale, qui constituent larme puissante et secrète du capitalisme. Quand le capitalisme était au bord de leffondrement, cette arme digne du jugement dernier fut utilisée, la situation se retourna contre le socialisme, et lURSS seffondra. Sa richesse lui fut volée par ces hommes et femmes-là, et transmise aux banques occidentales, offrant ainsi aux banquiers un répit de vingt ans de plus pour nager dans le luxe.
Depuis, les officiels et les magnats ont fonctionné comme des abeilles, safférant à collecter la douce sueur du front des gens ordinaires. Ils expédiaient leur butin dans les ruches que constituent les banques offshores, en pensant quil serait en sécurité. LOccident les a encouragés à le penser. Ils ont répandu des rumeurs selon lesquelles Poutine et Lukashenko auraient placé des milliards dans des banques occidentales pour les jours difficiles. Leurs medias ont raconté des histoires doligarques qui étaient capables de senvoler pour rejoindre leur magot dès qu’il nétaient plus en odeur de sainteté. De nombreux gouvernants corrompus et dhommes daffaires cupides lont cru et ont continué à butiner, à récolter du miel.
Cette façon de “faire leur miel” est le secret le mieux gardé de la supériorité du capitalisme. Il se fonde sur la faiblesse humaine. Les mafias de la drogue procèdent de la même manière : ils produisent et vendent de la drogue, et en tirent de largent quils gardent à la banque. Cet argent travaille en lieu et place de lépargne et même mieux. Quand les économistes se lamentent sur les faibles taux de lépargne aux Etats-Unis, ils oublient de compter lépargne récoltée via les cartels de la drogue. Cest lune des raisons du séjour américain de ces dix dernières en Afghanistan : la drogue a nourri le système bancaire.
La privatisation est un autre outil puissant : les propriétés privatisées alimentent de nombreux produits dérivés proposés par les banques. Les privatiseurs ont besoin des banques, et c’est auprès des banques qu’il déposent leurs profits. Dans lespace post-soviétique, les officiels prélèvent leur commission sous forme de pots de vin, et cet argent aussi va vers les banques.
Ainsi les dirigeants corrompus, les hommes daffaires et les parrains de la drogue remplissent une fonction importante dans le système financier mondial : les banquiers occidentaux navaient pas à se rendre au bout du monde dans des villes russes ou des villages indiens pour extorquer à un travailleur quelques roubles ou roupies. Ce sont les abeilles qui rapportent le miel à la ruche.
Avec l’opération main basse sur la Libye, même les plus stupides et les plus corrompus des dirigeants de Russie ou du Kazakhstan ont découvert ce que les abeilles apprennent, elles aussi, à leurs dépens. Quand les ruches sont pleines de miel, lapiculteur enfume les abeilles pour les chasser et récolte leur production. Les abeilles ont beau avoir envisagé dutiliser leurs économies pour leur retraite ou lamélioration de leur logis, un jour elles découvrent avec tristesse que les humains ont dautres projets pour leur miel. La première vague de la crise de 2008 a été le début dune opération d’enfumage en ce sens; la campagne de Libye constitue la seconde étape, elle permet de montrer ce qui peut arriver aux abeilles qui résistent à la crise.
Eu égard à la supériorité absolue des Maîtres du Discours une telle rapine peut être justifiée nimporte quand. Les riches en Russie se doutaient bien quils ne pouvaient mettre à gauche un petit milliard et se réfugier aussi sec aux Bahamas, jai entendu parler de ceux qui ont essayé ; quand ils sont arrivés pour réclamer leurs sous, ils se sont vu signifier que leur visa avait expiré, ou quils devraient apporter la preuve que cet argent avait été honnêtement gagné, ou quil avait disparu, tout simplement, pour quelque bonne raison.
Deux pays pourvoyaient aux besoins des fugitifs: la Grande Bretagne et Israël. Les milliardaires juifs qui se réfugiaient en Israël furent dûment tondus par lEtat juif. Nevzlin eut à investir la moitié de sa fortune dans des entreprises israéliennes douteuses ; Gaydamak se retrouva presque au bord de la faillite. Gusinsky passa de prison en prison avant dêtre détroussé par des familles israéliennes établies. La Grande Bretagne offre aussi refuge aux oligarques en fuite et les protège des enquêtes criminelles. Mais elle les tond fort ras : les milliards fabuleux de Boris Berezovsky ont rétréci jusqu’à quelques millions. Les autres espéraient quand même quon les autoriserait à conserver une partie de leurs gains illégaux dans le moelleux confort occidental sils se soumettaient aux ordres de Washington. A présent cet espoir est en train, lui aussi, de sévanouir.
Quand les abeilles ne produisent plus de miel, il existe dautres moyens d’en trouver. Les banques occidentales et les Etats avaient fait la promotion de leurs prêts, et ils avaient autorisé les politiciens bénéficiaires à voler les emprunts souscrits, comme Perkins la expliqué. Mais, maintenant, cette méthode est moins populaire, de même que les chances de réussir à planquer des biens volés ont considérablement baissé. Très haï à LOuest, Vladimir Poutine lancien et futur président de la Russie, a remboursé aussitôt quil en a eu loccasion, les dettes de la Russie, tandis quun autre « dictateur » exécré, Lukashenko, lui aussi, a refusé les prêts du FMI.
Ensuite il y a les fonds souverains. Les pays producteurs de pétrole placent habituellement une grande partie de leurs revenus aux Etats-Unis et au Royaume Uni. Ces fonds sont tenus pour garants de la “bonne conduite” du pays producteur ; ainsi, lIran a perdu ses fonds après avoir mis en place un régime islamique. Certains Russes considèrent quil sagit dune sorte de tribut que leur pays paie à leur vainqueur de la guerre froide. Ils considèrent même que lattentat d’Anton Breivik est une riposte au projet de la Norvège de rapatrier ses fonds souverains, un plan qui est anathème aux Etats-Unis. La Russie ne possède aucune raison pratique de laisser son argent investi dans des fonds américains à de faibles taux dintérêt alors que les industries russes paient de fort taux dintérêt sur des emprunts contractés à partir de cette source. D’autant moins que, comme on le sait, ces fonds peuvent être gelés ou saisis à nimporte quel moment. Ils peuvent aussi disparaître suite à un investissement imprudent, comme cela est arrivé une fois aux caisses de retraite suédoises et norvégiennes.
Alexei Kudrin a été ministre des finances de la Fédération de Russie pendant 11 ans. Il était le partisan le plus éloquent et influent, parmi les officiels russes, pour linvestissement en fonds américains, et il était dûment loué comme étant un financier aussi prudent qu’excellent. Il y a quelques jours, il a exprimé son désaccord avec le projet du Président Medvedev daugmenter significativement les dépenses militaires. Il sest fait virer sur le champ ; ça a été un choc pour un homme qui se considérait lui-même comme au dessus du lot ; cela a été un choc pour ses partisans.
Les câbles de Wikileaks révèlent que Kudrin était considéré par lambassade américaine comme “le plus transparent et réaliste parmi les principaux interlocuteurs du Groupe dObservation et de Recherche, en ce qui concerne les sujets économiques”.
Il était aussi le plus enclin à rechercher une coopération avec les Etats Unis et dautres pays occidentaux. Parmi les dirigeants russes “certains le trouvent irritant et laccusent de trahison” selon les câbles. Kudrin était partisan dune ligne modérée en matière de politique étrangère et sopposait à la ligne exposée dans le discours de Munich de Poutine. Au moment culminant de la crise de 2008, il donna de largent aux banques et coupa complètement les dépenses du gouvernement pendant six mois. Soit dit en passant, Kudrin na jamais été poursuivi pour avoir participé à lénorme fraude et au vol concernant les prétendues affaires de la dette du Kuweit et de lAlgérie, alors que son représentant a passé quelques mois en prison.
Ce personnage néolibéral, monétariste, pro-occidental et occupant une position clé s’est retrouvé perdu pour lOuest quelques semaines seulement après la chute de Tripoli. Et cest de mauvais augure pour les bénéficiaires occidentaux des Fonds Souverains russes, soit quils soient rapatriés, soient qu’ils soient autorisés à se flétrir quelque peu.
Cest la raison de la crise. Même les sales types ne font plus confiance au système. Leffondrement de lURSS a retardé une crise qui était attendue depuis longtemps. Tant de richesses ont été prises au bloc démembré de lURSS ! Les pays qui lui ont succédé ont été spoliés, et leurs biens volés ont permis de subventionner la dolce vita à lOuest. Les banquiers et les financiers se sont habitués à bien vivre en contrôlant les flux de liquidités et les actifs. Mais ils ont oublié une règle importante dans l’apiculture : il faut toujours laisser un peu de miel dans la ruche, sans quoi les abeilles ne rapporteront plus leur production. Ils ont trop prélevé, sur trop de gens, et maintenant les gens ont perdu le peu de confiance qui leur restait dans le système.
Traduction: Xavier Lavaud