Israel Shamir

The Fighting Optimist

Déconstruction de la judéité

Chers amis, 
cette fois, je vous fait part d’une nouvelle réaction, d’un universitaire français, le professeur N., à un article publié dans le quotidien La Presse, de Montréal, au sujet d’une de mes conférences au Canada (Vous trouverez cet article à la fin de ce courrier).

Les citations soulignées sont tirées de la lettre du professeur N. (il m’a demandé de ne pas la rendre publique, sinon je l’aurais retranscrite dans son intégralité). Elle aborde certaines questions très importantes, et j’espère que cela vous intéressera.

Cher Monsieur Shamir, 
j’espère que vous ne m’en voudrez pas pour mes propos quelque peu brutaux. Mon intention, en vous écrivant n’est ni de vous heurter, ni de vous offenser…

Cher Professeur, 
j’ai eu grand plaisir à lire votre honorée. Comme on le dit souvent, les critiques d’un honnête homme sont préférables aux flatteries d’un sot. Mais ne dit-on pas, aussi : envoyez un homme intelligent sur les roses, si nécessaire, il vous en saura gré. C’est dans cet esprit que je lis vos commentaires et que j’y réponds.

Lorsque j’ai découvert, en parcourant le forum de discussion “togethernet”(sur Internet) que vous étiez un Juif russe, les bras m’en sont tombés. Comment donc est-il possible qu’un Juif russe et le parent d’un officier SS puissent partager la même position sur l’Etat d’Israël ? 
Quelqu’un peut être le descendant d’un officier SS, cela ne m’effraie pas. Les pères ont mangé les raisins verts, etc… Mon oncle Daniel était le chef du NKVD (la Sécurité d’Etat) à Vilnius, après la guerre et, d’après les Lithuaniens, il s’est rendu responsable de beaucoup d’exécutions et de déportations. Ils prononçaient son nom avec la même horreur qu’un Juif prononcerait le nom d’Eichmann. Mais j’ai de lui le souvenir d’un homme gentil et très cultivé (il était diplômé en architecture de l’Université de Bruxelles). J’aime son fils. J’aime ses petits-enfants. Mon premier amour fut pour une jeune fille russe ; elle était la fille du kapo d’un camp de travail de Staline. J’ai servi, dans l’armée israélienne, sous les ordres directs d’un certain Ariel Sharon. Mon pote de régiment a abattu des prisonniers désarmés : il croyait que je ne le voyais pas. Aucun doute là-dessus, les Nazis étaient horribles. Mais je pense qu’il ne faudrait pas les démoniser au point d’exclure jusqu’à leurs enfants de tout commerce. Je me demande une chose : si les Nazis avaient laissé les Juifs tranquilles, aurions-nous les mêmes sentiments à leur égard ? S’ils avaient maltraité, disons, (uniquement) les Biélorusses, les Polonais, les Lithuaniens ? Je n’en suis pas si sûr. John Sack a écrit sur un homme du NKVD, juif, accusé d’exécutions en masse. Les Polonais avaient demandé son extradition, mais Israël les envoya balader de deux mots : “des clous”. Pour moi, les Juifs et les non-Juifs sont exactement les mêmes ; nous sommes tous les fils d’Adam. C’est pourquoi je suis totalement incapable d’avoir des sentiments différents vis-à-vis d’un tueur de Juifs et d’un tueur juif…

Par-dessus le marché, vous comparez la politique des gens au pouvoir, dans votre pays, avec celle des nazis… Et alors ? Vous aussi, vous vous exprimez bien à partir d’une position partagée par des idéologues nazis et des activistes nazis ?

Ma position est à l’opposé de ce que vous dites. Les nazis allemands croyaient en la supériorité de (l’ensemble de) leur race, alors que les suprématistes juifs croient en leur supériorité (à eux). Moi, je rejette toute supériorité, qu’elle soit de race, de croyance, de nationalité, etc. Alors que la dispute entre nazis et Juifs était de décider qui était l’Elu, moi, je rejette les deux prétentions. Si je rejette la revendication du trône par les Bourbons, cela fait-il de moi un bonapartiste ?

Votre crédibilité est nulle !

“Crédibilité” n’est pas un terme neutre. La “crédibilité” est décernée par les Maîtres du Discours : les universitaires chantres des divers gouvernements, le New York Times, et ses équivalents ailleurs dans le monde. C’est tout un système qui accorde, ou non, la “crédibilité”. Naturellement, je ne suis pas l’heureux titulaire de cette “crédibilité” patentée, et je ne la recherche aucunement. Je combats les Maîtres du Discours, pour la liberté de parole.

Pour être “crédible”, il faut faire attention à ne pas dépasser la ligne (imposée). J’ai cessé d’être “crédible” en 1990, lorsque j’étais journaliste à Moscou. Mes collègues, correspondants de journaux occidentaux en poste à Moscou, écrivaient des tas d’articles sur l’antisémitisme grandissant, sur les pogroms annoncés et sur le parti (d’extrême droite) Pamyat. J’ai trouvé, pour ma part, que les membres de l’effrayante conspiration Pamyat se comptaient sur les doigts de la main, qu’il n’y avait ni antisémitisme ni, encore moins, de pogroms en Russie, mais beaucoup de vent brassé par les services secrets israéliens. J’ai perdu ma “crédibilité”, parce que je n’ai pas imité les journaux occidentaux qui faisaient leurs gros titres sur l’antisémitisme russe et des pogroms soi-disant menaçants. En réalité, il n’y avait ni pogroms ni aucune forme de persécution. La Russie était (elle l’est encore) gouvernée par des Premiers ministres juifs, et Israël est sans doute devenu le modèle à suivre pour les Russes (au pouvoir), à voir ce qu’ils font en Tchétchénie.

J’étais prêt à vous accorder le bénéfice du doute, vous n’étiez pas censé savoir que l’un des participants à votre groupe de discussion était un antisémite notoire…

Cela ne m’aurait effrayé en rien, pour deux raisons. Premièrement, on pourrait trouver à redire aux “antisémites invétérés”, qui n’ont fait en définitive qu’encourager un discours juif anti-gentil particulièrement détestable, mais il n’y en a plus : ils ont complètement disparu. A l’heure actuelle, les “antisémites” sont les gens qui ont quelque chose contre le particularisme juif ou une influence juive excessive. Ils ne haïssent pas les Juifs en tant que tels. Devrions-nous mettre à l’index Dostoïevsky et T.S. Elliott, André Gide et Jean Genet, Toynbee et Gumilev ? Ils sont très souvent qualifiés d’”antisémites notoires”, mais leur rejet du particularisme juif (ou, si vous préférez, des “spécificités nationales juives”) n’était pas une question de “préjugé”. Le particularisme juif doit être équilibré par d’autres systèmes de valeurs, car c’est bien un manque d’équilibre et de mesure qui est à l’origine de la situation tragique du monde, aujourd’hui.

La seconde raison est plus importante. Le succès des sionistes s’est construit sur leur collusion avec les antisémites. Le Jacques Soustelle de l’OAS, le Lord Balfour de la Déclaration, le Pat Robertson de la Majorité chrétienne n’aim(ai)ent pas les Juifs, ils n’en étaient/sont pas moins entichés d’Israël. Des antisémites notoires ont sympathisé avec les sionistes, et vice-versa. De cette union est issu un rejeton monstrueux : les amants évangéliques d’Israël, qui aspirent à l’Armageddon (la fin du monde, ndt). Nous devons absolument briser la fascination sioniste.

Vous pensez que nous devons, nous les Juifs, cesser d’exister en tant que nation indépendante…

Nous devons choisir. Anciennement, les Juifs ne prétendaient pas être autre chose que des Juifs ; tandis que certains Juifs, de nos jours, veulent conserver leur dualité. Toutefois, vous ne pouvez pas manger un gâteau et toujours avoir ce gâteau, éternellement. A partir du moment où l’Etat juif est bien là, il urge de sérier nos priorités. Pour moi, un Juif français est français ; un Juif russe est russe. Nous pourrions parachever l’oeuvre, interrompue, d’Emancipation, et nous intégrer dans nos sociétés respectives. Avoir des origines juives serait aussi respectable que d’avoir des origines irlandaises, bien que ça n’apporte pas beaucoup d’avantages, à en juger par mes amis irlandais. L’alternative est trop effroyable à envisager.

Vous dites que ce que nous faisons (subir) aux Palestiniens confirme que c’est nous, les méchants…

Je dis cela, en effet, mais pas seulement. J’affirme aussi que ceux qui nous soutiennent sont des salauds, eux aussi.

Vous dites que notre seul salut est d’être asservis, dominés, tyrannisés, dispersés…

Non, non et encore non ! Notre seul salut est dans l’égalité. Abandonnez cette approche manichéenne : il est possible de vivre égaux et non pas, nécessairement, opposés entre dominants et dominés.

Votre flirt avec le Coran et l’Islam équivaut à l’adulation des potentats arabes  Il faut être véritablement déconnecté de la réalité pour considérer que les Arabes sont une race de seigneurs. Ils sont la victime persécutée du discours raciste, seul autorisé par les Maîtres. Les Arabes, je les aime bien, aussi, parce que ce sont de bons voisins.

La Bible (Ancien Testament) est un héritage humain produit par différents auteurs. Comment pouvez vous avoir aussi peu d’égards pour ces gens qui ont médité, se sont colletés à toutes sortes de problèmes existentiels, et qui ont transmis le fruit de leur méditation à la postérité ?

Le fait que les Juifs aient survécu, à travers tous ces siècles de persécution agissante et virulente en Europe et dans le monde musulman devrait vous donner une indication sur la capacité de notre tradition à assurer la survie et à surmonter les vicissitudes.

Vous faites de quatre questions une seule, mais je vais démêler l’écheveau. J’aime la Bible, comme sans doute toute personne parlant l’hébreu. C’est un livre complexe, et ce n’est pas un sujet dont on puisse parler légèrement. Il renferme aussi bien une merveilleuse poésie qu’un poison dangereux. Ce poison a trouvé son contre-poison dans le Nouveau Testament et dans le Coran, etc. Quiconque boirait ce poison pur serait susceptible de commettre de nombreux crimes, y compris le génocide. Au 2ème siècle, Markion rejetait ce poison avec horreur et il déclarait que le dieu des Juifs était Satan. Au 20ème siècle, les marxistes firent à peu près la même chose. Pour ma part, je dirai ceci : l’Ancien Testament devrait être considéré comme un magnifique sabre effilé, et traité avec des précautions infinies.

Aujourd’hui, notre religion juive est autre chose. Elle n’est pas basée sur la Bible hébraïque, mais sur la Mishna et le Talmud. Ce sont là deux ouvrages littéraires passionnants, eux aussi. Personnellement, j’en suis friand. Mais j’ai conscience de leurs failles morales. Ils ont été écrits en réaction au Christianisme, à partir de la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ils ont fait leur office, et ils ont pratiquement perdu toute validité, aujourd’hui. Cela n’a pas beaucoup de sens de disputer de ce sujet.

La persévérance des Juifs, c’est encore autre chose. Votre approche se fonde sur une mauvaise interprétation du passé juif. Bien sûr, nous aimons à répéter que nous avons été persécutés et humiliés. Mais ne prenez pas ces propos pour argent comptant. N’oubliez pas ceci : les Juifs appartenaient – et appartiennent toujours – aux classes privilégiées. Abram Leon, un jeune marxiste juif, mort à Auschwitz (vous connaissez sans doute le livre qu’il a écrit, puisqu’il a été traduit en français, avec une préface de Maxime Rodinson), a établi qu’un noble polonais qui aurait voulu devenir usurier, aurait été obligé de se convertir au judaïsme, tandis qu’un Juif désireux d’intégrer l’aristocratie terrienne aurait absolument dû se convertir, au préalable, au christianisme. Le choix n’était pas évident, beaucoup plus pour des raisons pratiques qu’en raison de considérations religieuses.

La judéité n’est pas un phénomène basé sur la religion. En Espagne, des crypto-juifs ont vécu comme des chrétiens (extérieurement) pendant quatre siècles, mais en conservant leur particularisme et leurs domaines réservés corporatistes. Aujourd’hui, la majorité des Juifs, en Israël autant qu’ailleurs, ne sont absolument pas religieux. La judéité, c’est affaire de exclusivisme et de privilèges.

On pourrait tout aussi bien présenter l’histoire de l’aristocratie française comme une histoire faite de “persécutions virulentes et en actes”. Il y a tellement d’aristocrates qui ont été guillotinés, à partir de 1793. (Plusieurs siècles avant cela, ) beaucoup d’entre eux sont morts sur les champs de bataille, à Crécy ou à Poitiers… Il n’en reste pas moins que l’histoire des nobles n’est pas faite que de souffrances. En effet, ils jouissaient de beaucoup de privilèges, aussi. Mais, si les nobles ont perdu leurs privilèges, les Juifs ne renoncent pas aux leurs.

Votre conférence à McGill m’a confirmé dans mon intuition qu’en dépit de votre faconde vous êtes un Juif égaré, qui a perdu de vue sa propre tradition, et qui avance à tâtons dans le noir. Votre intervention m’a finalement poussé à réagir et à vous écrire. Vous êtes en train de détruire, de déchirer en morceaux ce que les dirigeants israéliens de la précédente génération ont essayé d’édifier. Votre conférence à McGill était symptomatique de votre oeuvre de déconstruction. Le grand historien anglais Arnold Toynbee, dont j’admire la profondeur des vues sur maints sujets, n’était pas indemne, malheureusement, de traces d’antisémitisme et d’antisionisme. Il voyait dans le judaïsme une “fossilisation” et remettait en cause l’existence même de l’Etat d’Israël. Le 31 janvier 1961, cette même université, McGill, avait organisé un débat public entre Toynbee et Yaacov Herzog, ambassadeur d’Israël au Canada, sur l’essence de l’histoire juive et “l’identité morale” de l’Etat d’Israël. Aujourd’hui, Toynbee incarne ce à quoi vous aspirez : amener les Anglo-américains à abandonner leur engagement envers Israël, à cesser de le soutenir économiquement et militairement. J’ai bien peur que vous ne réussissiez. Les vents du changement semblent, en effet, en train de se lever. Si cela advient, tous les Saddams du monde élimineront tant d’Israël que l’Europe et l’Occident “chrétien” (bien que nous ne soyons plus chrétiens depuis le dix-neuvième siècle) de la surface du globe. Vous pouvez en être certain. Je ne suis pas surpris que vous soyez venu à McGill, précisément. Vous êtes bien trop avisé pour ne pas profiter de ce précédent historique.

Cher professeur, vous êtes trop gentil. Le personnage central des Récits d’Ise, grande fresque poétique japonaise du neuvième siècle, compare sa dulcinée – une paysanne – à un pin. Il veut dire, ce faisant, d’une manière allusive, qu’elle est frustre comme un arbre. Mais il se trouve qu’elle, elle adore les pins et la comparaison la flatte. Au risque de sembler, comme cette paysanne nippone, me méprendre, je suis tellement admiratif pour Toynbee que je ne peux que répéter : merci, Professeur, vous me flattez…

Oui, en effet : l’entente entre les Anglo-américains et les Juifs doit cesser. Ces deux exclusivismes sont entrés dans une résonance qui pourrait bien mettre à notre univers un terme prématuré. Un chat est adorable, tant qu’il n’a pas atteint la taille d’un tigre. Les Anglo-américains ont conclu un pacte qui leur a apporté la prospérité. Mais aujourd’hui, ils doivent le payer très cher. Cette prospérité a été acquise grâce à une pyramide de surévaluation du dollar et de spéculation financière. En effet, 90 % des transactions financières, aux Etats-Unis, sont de nature spéculative. Pour couvrir ce montage financier pyramidal, les Anglo-américains intimident le monde entier avec leurs armes de destruction massive. Les gens comme vous et moi, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, n’en retirent aucun avantage, loin de là. En Angleterre, les enfants vivant au-dessous du seuil de pauvreté sont trois fois plus nombreux qu’au jour où Margaret Tchatcher a accédé au pouvoir. Aux Etats-Unis, il y a des millions d’enfants mal nourris et sans abri. De nombreux Juifs américains poussent à la roue pour la destruction de la patrie d’Abraham, l’Iraq. Voilà quels sont, entre autres, les résultats de cette alliance.

Arnold Toynbee ne pouvait prévoir, en 1961, que seulement quelques années plus tard, le “fossile” reprendrait vie, trop de vie. Il ne vit jamais le film de science-fiction Alien, dans lequel un fossile congelé devient une source de danger apocalyptique. Les penseurs juifs qui étaient ses contemporains pensaient, eux aussi, que la juiverie était engagée sur la voie de sa disparition. Il ne s’agissait que de la pré-condition de (leur) émancipation, après tout. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Pour moi, il faut que cela advienne. Cela ne pourra être que bénéfique pour les descendants des Juifs, et pour l’ensemble de l’humanité. Jacques Derrida, un descendant des crypto-juifs espagnols (les Marranes, ndt), a introduit en France le concept de déconstruction. Aujourd’hui, il est grand temps d’amener la déconstruction chez nous et de déconstruire la judéité.

Voici maintenant l’article publié dans La Presse, important quotidien de Québec : 
Israël Shamir, qui préconise la création d’un Etat unique, pour les Palestiniens et les Israéliens, affirme : “On dirait que les sionistes veulent absolument démontrer que ce que les antisémites ont pu dire au sujet des Juifs est vrai. Tout un chacun peut constater, quotidiennement, le désir qui est le leur de continuer à dominer et à spolier le monde.” 
par Jooneed Khan

“Je suis né en Israël, et je suis partisan du parti au pouvoir, contrairement à vous. Pensez-vous que le peuple juif a droit à sa terre ancestrale ?” demande le premier participant à avoir réussi à s’emparer du micro baladeur, inaugurant le débat, après l’exposé de M. Shamir.

“Habitez-vous à Montréal ?”, lui demande, à brûle-pourpoint, le conférencier.

“Oui…”

“Abandonneriez-vous votre maison, si les indigènes (indiens) vous demandaient de leur rendre leur territoire ?”, lui rétorque Israël Shamir, suscitant une ovation debout. 

Atypique, cet Israël Shamir : la cinquantaine, mathématicien et juriste, journaliste et écrivain, ce Juif venu des glaces de la Sibérie irrite même le pacifiste israélien pur-sucre, avec son leit-motif “un homme, une voix : fin de l’apartheid”, alors que les pacifistes, eux, se font les hérauts d’une solution “à deux Etats”…

Il est même parvenu à déranger les Arabes des Etats-Unis, tout du moins ceux qui militent pour la paix avec des pacifistes juifs. Ils craignent que sa critique impitoyable du sionisme ne finisse par verser dans l’antisémitisme, et ils se méfient de lui…

Devant une assistance de plus de deux cents personnes, qui remplissait l’amphithéâtre de l’Université McGill, ce père de famille devenu une célébrité d’Internet (www.israelshamir.net) a exposé son évaluation de l’incontrôlable conflit israélo-palestinien.

“Je n’ai pas de réponse à toutes les questions (à ce sujet) ; cela serait présomptueux de ma part. J’ai ma propre opinion, et c’est la seule chose que je puisse vous apporter”, avait-il averti, en introduction, dans un anglais agrémenté d’expressions évoquant sa Russie natale, avec une élocution toujours assurée, toute de phrases denses émaillées de mots d’esprit.

Pour Israël Shamir, qui vit à Jaffa, ce conflit découle de l’”exceptionnalisme juif”, de l’idée (qu’ont les Juifs) d’être “le peuple élu”, un peuple différent de tous les autres. Cette idée a été développée après la fin du judaïsme biblique, a-t-il expliqué, en se référant à Yosef Yoval, un professeur de l’Université Hébraïque (de Jérusalem).

La division de l’humanité entre Juifs et Gentils est devenue obsolète, de son point de vue, au moment où l’organisation sioniste a vu le jour, à la fin du dix-neuvième siècle, afin de créer un Etat juif en Palestine.

Iconoclaste, semeur de trouble, malgré son look à la Charlie Chaplin, son sourire (en apparence seulement) timide, sa moustache à la gauloise et son teint basané, cet Israël Shamir, lorsqu’il affirme : “On dirait que les sionistes veulent apporter la preuve que tout ce que les antisémites ont toujours dit sur les Juifs est vrai. On peut le constater tous les jours en Israël : le désir de dominer les habitants d’origine, de les spolier… A Novossibirsk, mes grand-parents avaient décider d’abandonner définitivement cette attitude et de vivre à l’égal des autres.”

Pour le journaliste, vétéran de la radio israélienne, de la BBC, des journaux israéliens HaAretz, Ma’ariv et Al-Hamishmar, correspondant de la Pravda et de Zavtra, les Palestiniens sont les habitants originels du pays, attachés tant à la terre qu’à la nature (de Palestine), et dépossédés par l’entreprise sioniste.

“J’ai été le porte-parole du parti socialiste Mapam à la Knesset. Cela me laissait beaucoup de temps libre, que j’ai employé à visiter les villages de Palestine, en me déplaçant grâce à mon ânesse, que j’avais nommée Linda”, explique-t-il.

“Dans le désert, au sud d’Al-Khalil / Hébron, j’ai vu des grottes habitées depuis plus de trois mille ans. Et l’armée israélienne est venue les détruire, elle a dynamité les puits et expulsé tous les habitants troglodytes pour “faire de la place” à des colons juifs. Ce genre de comportement est déplorable. On dirait des enfants gâtés volant les jouets d’enfants pauvres pour le plaisir de leur faire du mal.”

Nouvelliste, traducteur d’Homère, de James Joyce et d’Agnon (écrivain israélien), Shamir aspire à l’égalité, comme ses grands-parents. “Un seul Etat, c’est ce que nous avons (déjà), avec l’occupation. Ce dont nous avons besoin, c’est du droit de vote pour tous. On reconnaît aux Juifs d’être de bons citoyens américains ou canadiens. Ils sont tout aussi capables d’être de bons citoyens palestiniens”, lance-t-il à son interlocutrice qui s’inquiète de la mise en minorité des Juifs dans une Palestine unifiée.

Cela est tout simplement inenvisageable pour une vaste majorité d’Israéliens. La plupart des pacifistes israéliens n’évoquent que la solution “à deux Etats”. Certains, peu nombreux, osent prôner une “fédération bi-nationale”, conscients que les Palestiniens aimeraient, en toute logique, avoir d’abord un pays à eux, avant d’envisager la nature de leurs relations avec l’Etat hébreu. A une question posée par un étudiant, sur le terrorisme, Shamir répond par une autre question :

“Si quelqu’un pénètre dans un kibboutz, dynamite les maisons et tue quelque soixante personnes, hommes, femmes et enfants, vous dites que c’est un terroriste ?

“Bien sûr”, répond l’étudiant.

“Nous, en Israël, nous l’appelons “premier ministre”, dit Israël Shamir, faisant allusion au massacre commis par Ariel Sharon à Qibya, en Cisjordanie, en 1953.

Un fan de Sharon prit alors le micro pour chanter les louanges d’Israël et vouer aux gémonies les Palestiniens, les Arabes, et Shamir. Des appariteurs de l’université McGill le conduisirent gentiment vers la sortie. Ayant quitté la salle, il prit le temps de tirer le signal d’alarme. Les gardiens fermèrent la porte et le meeting se termina dans le calme.

Cette rencontre était organisée par le SDHP (Solidarité pour les Droits de l’Homme en Palestine), auquel adhère des étudiants de six universités de la région de Montréal-Ottawa.

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