1. La double invasion
Les enjeux sont fort sérieux, en Ukraine: après le coup d’État, comme la Crimée et le Donbass ont brandi leur droit à l’autodétermination, voilà que les troupes russes et américaines sont entrées en Ukraine, masquées toutes les deux.
Certes, les soldats US apparaissent comme des “conseillers militaires”, mais il s’agit visiblement de membres de l’armée privée Blackwater, renommée en Academi; une centaine d’entre eux patrouillent dans Kiev, tandis que d’autres tentent de mater la révolte à Donetsk. Officiellement, ils sont là sur invitation du nouveau régime pro-occidental. Fer de lance de l’invasion US qui tente de consolider le régime et de briser toute résistance, ils ont déjà trempé les mains dans le sang à Donetsk.
Parallèlement, le Pentagone a doublé le nombre des jets de combat qui remplissaient une mission dans la Baltique, sous couvert de patrouille de l’OTAN. Le transporteur aérien a pénétré en Mer Noire, et on signale des Marines qui auraient atterri à Lvov dans le cadre de “manœuvres prévues de longue date”. Quant aux soldats russes, ils appartiennent ostensiblement à la flotte russe, qui stationne légalement en Crimée. Ils étaient en Crimée avant le coup d’État, dans le cadre du traité qui lie la Russie et l’Ukraine (à l’instar de la Cinquième Flotte US au Koweit), mais leur présence a sans doute été renforcée. D’autres troupes russes avaient été appelées en renfort par le président Yanoukovitch, légalement élu mais déposé, ce qui rappelle tout à fait l’intervention US au secours du président Aristide en Haïti, lui aussi déposé. Ils aident la milice locale pro-russe à maintenir l’ordre, et personne ne se fait tuer dans ce contexte. En outre, la Russie a mis ses troupes en alerte et a ramené quelques navires de guerre en Mer Noire.
Seule la présence russe est évoquée par les médias occidentaux en termes d’invasion, tandis que la présence américaine est à peine mentionnée. “Nous avons le devoir moral de fourrer notre nez dans vos affaires, dans votre arrière cour, à l’autre bout du monde, et c’est pour votre bien”, comme l’a écrit un blogueur ironique américain.
Moscou s’est réveillée brutalement, une fois passée l ‘obsession des JO, et quand les gens ont commencé à dire: “Poutine a gagné les JO, et perdu l’Ukraine.” Effectivement, tandis que Poutine suivait les compétitions à Sotchi, la révolution brune se déroulait en Ukraine. Il s’agit d’un pays grand comme la France, la plus grande des Républiques soviétiques de jadis, après la Russie, et une coalition d’ultra-nationalistes ukrainiens et d’oligarques principalement juifs vient de s’en emparer. Le président légitime a été forcé de s’enfuir pour sauver sa peau. Des membres du Parlement ont été pris en main, et dans certains cas leurs enfants ont été pris en otage pour s’assurer de leur vote, tandis que des hommes en armes perquisitionnaient chez eux. Le putsch était bouclé. L’Occident reconnaissait aussitôt le nouveau gouvernement, mais non la Russie, ce qui ne l’empêchait pas de poursuivre les échanges de routine. Mais désormais, la véritable histoire se déroule en ce moment en Crimée et en Ukraine orientale, et c’est celle de la résistance au coup d’État pro-occidental.
2. Le putsch
La situation économique est épouvantable, en Ukraine. Ils en sont au point où en était la Russie dans les années 1990, avant Poutine, mais en Ukraine rien n’a bougé depuis. Le pays a été moissonné par les oligarques qui ont siphonné leurs profits en direction des banques occidentales, amenant le pays au bord du précipice. Pour éviter le défaut de paiement et l’effondrement, l’Ukraine devait recevoir de la Russie un prêt de 15 milliards d’euros sans condition préalable, lorsque le coup d’État s’est produit. Et maintenant le premier ministre de la junte sera bien heureux s’il reçoit un seul petit milliard de dollars de la part des US, par le biais du FMI; certes, les Européens en ont promis plus, mais dans quelques années… Il a aussitôt accepté les conditions du FMI, ce qui signifiera austérité, chômage et dette astronomique. C’est là probablement la raison d’être du putsch. Le FMI et les prêts US sont une source de profit majeure pour la communauté financière, et ils savent y faire, pour mettre des pays en esclavage pour dettes, comme l’a si bien expliqué John Perkins.
Les oligarques qui ont financé l’opération Maidan se sont partagé le butin: le bienfaiteur le plus généreux, le multimilliardaire Igor Benya Kolomoysky, a reçu le fief de la ville russophone de Dniepropetrovsk. On ne lui a pas demandé de rendre son passeport israélien. Ses frères en oligarchie ont pris d’autres villes russophones, y compris Kharkov et Dnetsk, la Chicago ukrainienne, ou sa Liverpool. Kolomoysky n’est pas simplement un “oligarque d’origine juive”, mais un membre actif de la communauté juive, un supporteur d’Israël et un donateur de nombreuses synagogues, dont l’une est la plus grande d’Europe. Il n’était nullement gêné de soutenir les néo-nazis, même ceux qui ont été interdits de séjour aux USA pour antisémitisme déclaré. Et c’est bien pour cela que les appels à la conscience juive contre le putsch brun ont exemplairement échoué.
Puis vint le tour de la croisade nationaliste contre les russophones, Russes ethniques et Ukrainiens russophones -la distinction est capitale- principalement les ouvriers de l’industrie, du Sud et de l’Est du pays. Le régime de Kiev a banni le Parti communiste et le Parti des Régions, qui est le plus grand parti du pays, massivement soutenu par les ouvriers russophones. Le premier décret du régime a interdit le russe dans les écoles, à la radio et à la télévision, ainsi que tout usage officiel du russe. Le ministre de la culture a qualifié les russophones d’imbéciles, et a proposé de les jeter en prison s’ils se servaient de la langue interdite en public. Un autre décret menaçait de dix ans de taule tout détenteur de la double nationalité russe et ukrainienne, tant qu’il n’aurait pas renoncé à son identité russe.
Et ce n’étaient pas de vains mots: les troupes d’assaut du Secteur Droit, la force de combat d’avant garde, en faveur du Nouvel Ordre, ont parcouru le pays en terrorisant les officiels, en frappant les citoyens, en occupant les bâtiments gouvernementaux, en abattant les statues de Lénine, en démolissant les monuments commémoratifs de la Seconde Guerre mondiale, et en imposant leur loi par tous les moyens. Sur une vidéo, on voit un combattant du Secteur Droit maltraiter l’avocat officiel de la ville tandis que la police regarde ailleurs. Ils ont commencé à pourchasser les policiers anti-émeutes qui soutenaient l’ex-président, et ils ont descendu en flammes une synagogue ou deux. Ils ont torturé un gouverneur, et lynché quelques techniciens trouvés dans les quartiers généraux de l’ancien parti dirigeant. Ils ont commencé à occuper les églises orthodoxes de rite russe, en essayant de les aire basculer vers leur propre église catholique grecque.
Les instructions de Victoria Nuland, du Département d’Etat, ont été respectées: l’Ukraine avait eu le gouvernement qu’elle prescrivait dans le fameux coup de fil intercepté, en s’adressant à l’ambassadeur US. Étrangement, tandis qu’elle envoyait les Européens “se faire f…”, elle se moquait éperdument du point de vue russe sur l’avenir immédiat de l’Ukraine.
La Russie ne s’était pas mêlée des évènements ukrainiens, car Poutine ne voulait pas être accusé d’ingérence, alors même que des envoyés US et Européens prêtaient main forte aux rebelles et les encadraient. Le peuple russe l’applaudirait chaudement s’il devait envoyer ses tanks à Kiev pour reconquérir l’Ukraine toute entière, qu’ils considèrent comme partie intégrante de la Russie. Mais Poutine n’est pas un nationaliste russe, et il n’a pas de perspective impériale. Il aimerait bien que l’Ukraine soit amicale envers la Russie, mais n’a jamais envisagé de l’annexer, en partie ou en totalité, cela coûterait trop cher, même pour une Russie prospère: cela ne serait pas facile, non plus, parce que chaque gouvernement successif au long des vingt dernières années a dressé le peuple contre la Russie. Mais Poutine a bien été obligé de s’investir.
En effet, des centaines de milliers d’Ukrainiens ont voté avec leurs pieds et fui vers la Russie, en quête de refuge. Le seul coin libre de toute la république était la ville de Sébastopol, objet du siège franco-britannique de 1851, et de celui des Allemands en 1941, parce que c’est la base de la flotte russe en Mer Noire. Cette ville héroïque ne s’est pas rendue aux émissaires de Kiev, même si quelques députés locaux étaient prêts à le faire. Et au dernier moment, la population est entrée en résistance. Le triste succès du putsch a été le début de sa déroute. Le pendule ukrainien, toujours oscillant entre l’Orient et l’Occident, a repris sa marche arrière.
3. Le soulèvement
En Crimée, les gens se sont levés, ont démis leurs dirigeants officiels qui cherchaient le compromis, et ont élu un nouveau chef, Sergueï Aksenov. La nouvelle direction a assumé le pouvoir, pris le contrôle de la Crimée, et à demandé aux troupes russes leur protection, face à la menace d’attaque par les enragés de Kiev. Cela ne semble pas avoir été nécessaire pour le moment: il y avait pléthore de Criméens prêts à défendre leur terre des envahisseurs bruns, il y avait des volontaires cosaques, et il y a la marine russe qui stationne en Crimée en vertu du traité. Ses marines seraient probablement à même de donner un coup de main aux Criméens en cas de difficulté. Ceux-ci, avec une certaine assistance russe, ont bloqué la route qui traverse l’isthme étroit reliant la Crimée au continent.
Le parlement de Crimée a choisi de rejoindre la Russie, mais ce vote devrait être confirmé par un référendum le 16 mars, pour déterminer quel sera l’avenir de la Crimée, si elle retourne à la Russie ou reste une république autonome au sein de l’Ukraine. D’après mes conversations avec les habitants, il semble qu’ils préfèreraient rejoindre la fédération de Russie qu’ils ont quittée sur ordre de Khrouchev il y a à peine un demi-siècle. Étant donnés la langue commune et les liens du sang, cela fait sens: l’Ukraine est en faillite, la Russie est solvable et prête à assumer un rôle protecteur de ce type.
L’Ukraine ne peut pas payer les salaires ni les retraites, alors que la Russie a promis de le faire. Kiev s’attribuait la part du lion dans les profits générés par l’afflux des touristes russes; maintenant les profits resteront sur la presqu’île, et serviront – on l’espère- à restaurer les infrastructures en ruine. L’immobilier va remonter, en tout cas, les autochtones optimistes misent là-dessus, et les hommes d’affaires russes partagent cet espoir. Ils disent déjà que la Crimée va bientôt surpasser Sotchi, en quelques années, et deviendra la villégiature russe impériale vraiment chic.
Peut-être que Poutine préférerait que la Crimée accède à l’indépendance, comme le Kossovo, ou bien reste sous une souveraineté ukrainienne de façade, de même que Taïwan fait toujours, nominalement, partie de la Chine. Cela pourrait devenir une vitrine de l’Ukraine pro-russe, qui permettra aux autres Ukrainiens de voir ce qu’ils ont raté, le rôle que jouait Berlin Ouest pour les Allemands de l’Est pendant la Guerre froide. Reprendre la Crimée serait agréable, mais pas au prix de la consolidation d’une voisine ukrainienne hostile et renforcée. En fait, Poutine n’aura probablement pas d’autre choix que d’accepter la décision de la population.
Il y a bien eu une tentative pour faire jouer les Tatars de Crimée contre les Russes; mais elle a apparemment échoué. Malgré le fait que le majlis, leur organisation auto-proclamée, soutient Kiev,les anciens ont appelé à la neutralité. Il y a des rumeurs persistantes selon lesquelles le dirigeant tchéchène Kadyrov, haut en couleur et supporteur obstiné de Poutine, aurait envoyé ses escadrons aux Tatars afin de les inciter vivement à renoncer à leurs objections contre le virage pro-russe de la Crimée. Au début, les Tatars ont soutenu Kiev, puis tenté d’empêcher la reprise en main des pro-Russes. Mais ces gens sages sont des survivants nés, ils savent quand c’est le moment de s’adapter, et il ne fait aucun doute qu’ils sauront se débrouiller au mieux.
Les nazis russes, aussi anti-Poutine que les nazis ukrainiens, sont divisés: les uns soutiennent une “Crimée russe” tandis que les autres préfèrent une Kiev pro-européenne. Ils sont mauvais comme ennemis, mais encore pires comme amis: ils tentent de s’ancrer entre Russes, Ukrainiens et Tatars, et ils détestent constater que la Tchétchénie de Kadyrov conforte de fait les projets russes, parce qu’ils sont anti-tchétchènes et tentent de convaincre le peuple que la Russie a intérêt à se débarrasser des Tchétchènes, qui ne sont de leur point de vue qu’une belliqueuse tribu musulmane.
Comme la Crimée a défié les ordres de Kiev, elle devient une référence pour d’autres régions d’Ukraine. Le Donbass, la région du charbon et de l’acier, a brandi les drapeaux russes et a déclaré vouloir l’auto-détermination, “comme la Crimée”. Ils veulent vraiment rejoindre une Union douanière chapeautée par la Russie. On ne sait trop s’ils préféreraient l’indépendance, l’autonomie ou quelque chose d’autre, mais eux aussi ont prévu une consultation populaire. Il y a eu de grosses manifestations contre le régime de Kiev à Odessa, à Dniepropetrovsk, à Kharkov et dans d’autres villes russophones. Pratiquement partout, les députés cherchent à s’entendre avec Kiev et à en tirer quelques bénéfices, mais les gens ne sont pas d’accord. Ils sont furieux, ils ne veulent pas entendre parler de la junte.
Le régime de Kiev ne veut pas admettre leur revendication de liberté. Le maire de Donetsk, bien élu et populaire, a été enlevé par les forces de sécurité ukrainiennes, et emmené à Kiev. Et maintenant on manifeste violemment dans la ville.
La marine ukrainienne dans la mer Noire a fait allégeance à la Crimée, et non plus à Kiev, et certaines unités de l’armée de l’air l’ont rejointe, avec des douzaines d’avions de combat et des troupes au sol. Les troupes loyales à Kiev ont été bloquées par les Criméens, mais il n’y a pas eu de violence, dans ce transfert pacifique de pouvoir.
La junte a choisi un oligarque pour commander le Donbass, Sergueï Taruta, mais il a eu du mal à assumer le rôle, parce que les gens du cru n’en voulaient pas, pour une bonne raison: c’est lui qui a racheté le très important port polonais de Gdansk, et l’a mené à la banqueroute. Il semble qu’il soit plus performant pour siphonner des capitaux au loin que pour diriger des affaires sérieuses. Honteusement, M. Taruta amenait avec lui un personnel de sécurité non identifié et lourdement armé, des mercenaires fournis par Blackwater, à ce qui se dit, fraîchement débarqués d’Irak et d’Arghanistan. Il va lui en falloir bien plus s’il veut prendre le Donbass de force.
A Kharkov, la plus grande ville de l’Est, jadis capitale de l’Ukraine soviétique, les habitants ont éjecté les envoyés musclés du Secteur Droit hors des bureaux gouvernementaux, mais la police a fait corps avec les oligarques. Tandis que la fausse révolution se déroulait à Kiev sous la tutelle des émissaires des US et de l’UE, c’est maintenant que la vraie révolution se met en marche, et son avenir est loin d’être assuré.
L’Ukraine n’a pas grand chose comme armée, dans la mesure où les oligarques ont raflé tout ce qui était jadis assigné aux militaires; Le régime de Kiev n’a aucune confiance dans sa propre armée, de toute façon. Leur tentative pour lever un contingent de réservistes a immédiatement échoué, parce que presque personne ne s’est présenté. Ils essaient toujours d’écraser la révolution. Trois cent nouveaux mercenaires de Blackwater ont atterri mercredi dernier à l’aéroport de Kiev. Le régime de Kiev a appelé l’OTAN au secours, et a fait savoir qu’il était prêt à permettre aux missiles US de stationner en Ukraine. Les missiles en Ukraine, comme maintenant en Pologne, trop près, eux aussi, de la Russie au goût des Russes, pourraient fort bien franchir la ligne rouge russe, tout comme les missiles russes à Cuba avaient franchi la ligne rouge américaine en 1962. Le chef des services d’intelligence israéliens Yaakov Kedmi, un expert en questions russes, a dit qu’à son avis les Russes ne pouvaient pas permettre une chose pareille, à aucun prix, même si cela devait signifier la guerre.
Poutine a demandé à la chambre haute du parlement russe la permission de déployer les troupes russes si nécessaire, et le parlement a donné son feu vert à l’unanimité. Elles seront probablement déployées pour protéger les ouvriers en cas d’attaque par un Secteur Droit vitaminé par les mercenaires de Blackwater. Une catastrophe humanitaire, des troubles à grande échelle, un afflux de réfugiés ou l’arrivée des troupes de l’OTAN pourraient aussi forcer la main à Poutine, y compris contre sa volonté.
4. Le président en exil
Le président Yanoukovitch rentrera dans l’histoire comme un personnage faible, tragique, et il mériterait une plume plus placide que la mienne. Il a fait son possible pour éviter les pertes en vies humaines, alors même qu’il faisait face à une offensive sans concession dirigée par de très violentes troupes d’assaut. Et on lui impute la mort de quelque quatre-vingt personnes, entre policiers et opposants.
Parmi les victimes, certaines furent tuées par le Secteur Droit lorsqu’ils dévastaient les bureaux du parti au pouvoir. Les hommes politiques avaient quitté les bâtiments bien à l’avance, mais les équipes de secrétariat étaient encore là, principalement des femmes, des jeunes, et autre menu fretin. Un ingénieur du nom de Vladimir Zakharov est allé trouver les assiégeants rebelles et leur a demandé de laisser sortir les femmes. Ils l’ont descendu sur le champ, à la batte. Et un autre a été brûlé vif.
Mais la plupart des pertes sont le fait des snipers, et pourtant elles sont imputées à Yanoukovitch. Le régime de Kiev a même demandé au tribunal de La Haye de traîner en justice le président comme ils l’avaient fait pour Milosevic. Mais voilà qu’une conversation entre Catherine Ashton, représentante de l’UE, et le ministre des Affaires étrangères estonien Urmas Paet révèle que les émissaires de l’UE savaient parfaitement que les douzaines de victimes des snipers sur la place Maidan avaient été abattus par des rebelles, et non pas par la police du président Yanoukovitch, comme ils le prétendaient. Urmas Paet a reconnu l’authenticité de cet échange téléphonique lors d’une conférence de presse, et a réclamé une enquête indépendante. Il s’avère que les tireurs rebelles ont tiré tant sur les policiers que sur les rebelles, pour faire couler le sang et en accuser le président.
Cela devient une marque de fabrique dans les révolutions made in USA. Des snipers tirant sur les deux camps avaient été signalés à Moscou lors des émeutes de 1991 et 1993, comme dans bien d’autres cas. Certaines sources ajoutent que des snipers israéliens célèbres ont été embauchés pour ces occasions, ce qui est plausible, au vu des connections israéliennes de Kolomoysky. Un ami personnel de Kolomoysky, membre éminent de l’ex-opposition, le parlementaire et actuel chef de l’administration Sergueï Pachinsky, a été arrêté par la police alors qu’il emportait l’arme d’un sniper équipée d’un silencieux hors de la scène du crime. Cette découverte a fait l’objet d’une note succincte dans le New York Times, retirée par la suite. Cette révélation élimine (ou du moins réduit sensiblement) la responsabilité pénale du président. Mais l’incident sombrera probablement dans le trou noir de la mémoire, et finira aux oubliettes, comme les révélations de Seymour Hersh au sujet des attaques au gaz sarin en Syrie.
Le président Poutine a fait une autre révélation lors de sa conférence de presse du 4 mars 2014. Il a dit qu’il avait convaincu (lisez plutôt obligé ) le président Yanoukovitch de signer l’accord du 21 février 2014 avec l’opposition, comme le demandaient les ministres occidentaux.En signant ce qui était plutôt une capitulation, le président ukrainien acquiesçait à toutes les exigences des rebelles bruns, y compris l’organisation d’élections anticipées, au parlement, et pour la présidence. Mais cet accord n’a servi à rien: les rebelles ont essayé de tuer Yanoukovitch la nuit où il se rendait à Kharkov.
Poutine a manifesté son étonnement qu’ils ne se soient pas contentés de l’accord, et qu’ils aient continué à mettre en œuvre le coup d’État. Ce sont les truands de Secteur Droit qui l’ont expliqué: ils ont dit que leurs tueurs seraient stationnés à côté de chaque urne électorale, et se chargeraient du décompte des votes. Naturellement, l’accord ne le prévoyait nullement, et la junte a de bonnes raisons pour douter de ses capacités à gagner dans des élections honnêtes.
Il apparaît que Yanoukovitch espérait établir une nouvelle base de gouvernement à Kharkov, où un vaste assemblée de députés de l’Est et du Sud de l’Ukraine avait été convoquée. D’après M. Kolomoysky, il demanda aux députés d’assumer leurs pouvoirs et de soutenir le président, mais ceux-ci refusèrent. C’est pour cette raison que le président Yanoukovitch s’enfuit, en grande difficulté, en Russie. Son atterrissage à Rostov fit une forte impression sur la population, parce que son avion était escorté d’avions de combat.
Yanoukovitch essaya de joindre Poutine, mais le président russe ne voulait pas donner l’impression de forcer la main à Yanoukovitch par dessus la volonté des Ukrainiens, et refusa de le rencontrer ou de s’entretenir directement avec lui. Peut-être que Poutine n’avait pas de temps à perdre avec un si falot personnage, mais il le reconnut publiquement quand même en tant que président légitime d’Ukraine. C’était logique, puisque le président Yanoukovitch avait demandé aux troupes russes de ramener la paix dans son pays. Il peut encore revenir sur le devant de la scène, comme président d’une Ukraine libre, si une telle entité pouvait jamais émerger quelque part, ou comme personnage d’un opéra.
Traduction: Maria Poumier