Les plus gros secrets : l’Occident n’a personne en Syrie pour prendre le contrôle des territoires libérés ; les Russes cherchent encore des partenaires, Erdogan a eu les yeux plus gros que le ventre, et ISIS n’est qu’un fantasme, après tout.
Les Russes sont aux anges, avec leur aventure syrienne. Vingt jours après leur entrée dans la guerre de Syrie, l’opération est rentabilisée. Ils ont déployé leurs joujoux militaires et bien épaté les autres gars dans le bac à sable. Après une longue période de découragement, les Russes ont été acclamés, merci pour eux, ils se sentent bien mieux, comme un convalescent après une grave maladie. Ils adorent les images de leurs pilotes en tenue chic, style américain, de leurs jets exquisément dernier cri, de cette campagne intrépide si loin de chez eux. Ils adorent la publicité faite à leurs opérations militaires, tout à fait inédite. Les commandements postent des vidéos et leur permettent de suivre attaques et tirs en temps réel.
Poutine était déjà très populaire avant la guerre, avec 86% d’opinions favorables dans les sondages, et maintenant il crève le plafond. Ce que les Russes ont préféré, c’est le lancement osé de leurs 26 Kalibr tout neufs, ces missiles de croisière, tirés depuis une frégate dans la Mer Caspienne, bondissant jusqu’en Syrie par-dessus les buttes et déserts d’Irak et d’Iran. Irak et Iran avaient été prévenus, mais n’ont pas vendu la mèche à leurs partenaires US. Les missiles ont frappé à la perfection, et les experts militaires disent que ce nouveau type de missiles de croisière pourrait permettre, si nécessaire, à la Russie de faire son affaire du bouclier anti-aérien US installé chez les voisins d’Europe orientale. Les Russes ont été aussi heureux que le jour où ils ont lancé leur premier Spoutnik au firmament.
La campagne syrienne était tellement populaire qu’une tentative pour organiser une manif anti-guerre a spectaculairement échoué : cent cinquante personnes en tout et pour tout s’y sont retrouvées, sur les quinze millions de Moscovites. Par comparaison, les rassemblements contre l’intervention dans les affaires ukrainiennes ont attiré quelques milliers de protestataires au moins.
Comme nous l’avions prédit, les Russes ne se sont pas trop inquiétés à propos d’Isis (en dehors de quelques raides sur Raqqa, leur « capitale » supposée), mais ont attaqué d’autres groupes d’opposition autour de Damas et d’Alep, en projetant de libérer tout le nord de la Syrie, pour ouvrir la route jusqu’à la frontière turque. Les opérations terrestres sont menées par l’armée syrienne, peut-être avec le renfort d’unités iraniennes et de combattants du Hezbollah, avec une couverture aérienne russe. Ça ne se passe pas en douceur, parce que l’opposition garde des positions bien ancrées, mais ça avance, car l’opposition fragmentée n’est pas une cible digne d’une armée régulière avec un soutien aérien.
Ils envisagent de boucler la frontière turque du côté syrien, mettant ainsi fin à l’approvisionnement des rebelles (y compris Isis) mais en leur laissant probablement une issue de secours. Les Occidentaux disent qu’ils bombardent « l’opposition modérée ». Mais les Russes nient qu’une telle opposition existe : ce sont tous des djihadistes, disent-ils. Les Russes comparent leur indignation contre l’attaque des rebelles (réputés agents de la CIA) avec leur indifférence relative après le bombardement de Médecins Sans Frontières en Afghanistan : « donc l’hôpital a été touché par accident, ça ne compte pas, aucune raison de nous répandre là-dessus chez nous non plus», a renchéri Sergueï Lavrov, emboîtant le pas aux Occidentaux sur cette atrocité perpétrée par les US.
Dans le cadre négociations confidentielles entre officiers de haut-rang russes et européens, les Russes disent que l’Armée Syrienne Libre est complètement désintégrée, n’est plus bonne à rien en pratique. Elle était constituée principalement de déserteurs de l’armée syrienne, les uns religieux, les autres pas, mais « les rasés ont pris la fuite parce que les autres, les barbus, leur ont fait peur. » De fait, même les journaux les plus favorables aux rebelles comme le Guardian ont arrêté de clamer qu’il existe une opposition non djihadiste consistante. Ils disent que les rebelles sont divisés entre djihadistes et « unités non-idéologiques », c’est-à-dire des gangs. Ils terrifient la population, qui préfère nettement la férule du gouvernement. Bachar al Assad tient 20% du territoire, mais 80% de la population.
Lors de la rencontre de Lavrov avec le chef de l’opposition syrienne Burhan Ghalioun, le ministre des affaires étrangères russe lui a dit suavement : « vous êtes un professeur émérite de la Sorbonne, vous savez tout cent fois mieux que moi. Vous dites que Bachar est un criminel de guerre. Vous comprenez certainement que si aujourd’hui le président syrien vous embauchait, Isis vous combattrait comme ils le font avec Bachar. Ils veulent établir leur califat de l’Andalousie espagnole jusqu’au Pakistan, et ils ne tolèreront même pas les Frères musulmans, encore moins les intellectuels éclairés comme vous, s’ils vous trouvent sur leur passage. »
Dans les intenses négociations diplomatiques pour convaincre de la légitimité de l’intervention russe, ceux-ci ont rappelé à leurs partenaires européens que lors du sommet du G8 en Irlande du Nord, les parties avaient convenu d’utiliser leur force aérienne contre les rebelles djihadistes, parce qu’ils menaçaient la sécurité mondiale. Cela avait été proposé par le Hollande de France et le Cameron du Royaume Uni, et applaudi tant par Obama que par Poutine.
Les Français ont fait quelques sorties, disant qu’il y avait quelque 1600 Français combattant dans les unités de l’Isis, et pour eux c’était une question d’autodéfense. Fort bien, ont dit les Russes, si c’est là un argument valable, il y a 2000 citoyens russes aussi, dont il va falloir prendre soin de la même façon. Voilà pour notre auto-défense.
Les Russes ont proposé aux Français de faire le travail pour eux (avec un certain sourire, j’imagine). « Dites-nous où et qui vous souhaitez que nous lâchions quelques pétards », a demandé le Russe. Mais les Français n’ont dit mot. « Eh bien dites-nous alors où et qui vous ne voulez pas que nous ramenions à la raison », insistait le Russe. Mais le Français est encore resté coi.
Les Russes soupçonnent que les Occidentaux n’ont pas de réponse et n’ont personne sur le terrain pour s’emparer des territoires libérés. Ce qui le prouve, ce sont les millions de dollars lamentablement gaspillés par les US pour entraîner quatre ou cinq combattants. Ce qui explique aussi la longue campagne futile de bombardements : plus de 7500 sorties sans résultat tangible, à moins de compter la centrale récemment détruite, qui fournissait leur électricité aux habitants d’Alep.
Lavrov a quelques histoires intéressantes sur l’époque antérieure, quand les Forces aériennes russes n’étaient pas encore installées dans la région. Les observateurs russes ont clairement identifié la colonne d’Isis sur des jeeps Toyota avec des étendards noirs, se déplaçant dans le désert autour de Palmyre, mais ils ont reçu, avec leurs alliés syriens, une requête des US, leur demandant de les laisser passer sans les toucher. Plus encore, les US ont prévenu Bachar : ils le frapperont s’il essaie seulement de se servir des sorties US contre l’Isis pour gagner du terrain.
Mais il n’y a pas d’alternative à Bachar al Assad, maintenant, a dit Lavrov. C’est lui ou l’anarchie. Il n’y a pas d’opposition unie pour faire contrepoids à Isis, juste des troupes clairsemées. « Laissez l’opposition se rassembler et former une coalition. Qu’ils s’unissent et prennent part à la bataille contre Isis ». Il est peu probable que l’offre soit retenue.
La tonalité des entretiens russo-européens a récemment changé. Auparavant, les ministres européens se comportaient comme des sahibs arrogants avec des indigènes rétifs, maintenant les voici devenus respectueux, voire obséquieux. L’envol des Kalibr a modifié la perception, comme les vagues de réfugiés syriens. Les Européens ont fini par comprendre que les Russes sont capables de pacifier la Syrie et de ramener les réfugiés chez eux. Seulement il y a une autre partie prenante dans le conflit, la Turquie d’Erdogan.
Erdogan en difficulté
J’ai beaucoup de sympathie pour le dirigeant turc : il a arraisonné les généraux, rendu une certaine prospérité à son pays, a défendu les pauvres, s’est exprimé en faveur des Palestiniens. C’était un excellent ami et voisin de la Russie, pour le plus grand profit des deux pays. Mais sa politique syrienne a été désastreuse pour la Syrie, pour la Turquie et pour l’Europe.
Une personnalité de haut-rang m’a dit qu’au premier signe de problème en Syrie, Erdogan a demandé au président Assad de donner la moitié des postes au gouvernement à de Frères musulmans. Assad a refusé, et Erdogan a lâché ses chiens. Les djihadistes, c’est-à-dire les combattants islamistes de toute espèce, se sont rassemblés en Syrie à partir de la Turquie. Ils ont reçu des armes grâce à la Turquie, la Turquie est leur itinéraire préféré pour les antiquités pillées et pour le pétrole illégalement produit.
Erdogan a des projets grandioses : créer un vaste empire construit sur les Frères musulmans. Ces plans se sont effondrés quand l’armée égyptienne a chassé le président Morsi et a pris le pouvoir. Ils ont raté leur coup en Syrie aussi, et la chute a été pesante.
Erdogan a invité les Syriens à venir en Turquie pour un cout séjour, le temps que Bachar soit détrôné : plus de deux millions de personnes ont accouru, un flot intarissable. Les Turcs embarrassés ont découvert que cela minait leur sécurité, ainsi que leur qualité de vie, et leur fragile prospérité fondait. Les élections récentes l’ont confirmé : Erdogan escomptait une claire majorité pour sa réforme constitutionnelle, mais n’est pas parvenu à former un gouvernement, il a été forcé d’appeler à de nouvelles élections.
Maintenant Erdogan tente de mobiliser ses électeurs par la menace de guerre. Les Turcs sont patriotes, ils ont été élevés dans la vénération de leur héros de la première guerre mondiale le général Kemal Ataturk. Pour eux (comme pour bien des nations), une menace de guerre est un appel au clairon pour s’unir et soutenir le gouvernement. C’est pour cette raison qu’il projette d’amener la Turquie au bord de la guerre avec la Russie. C’est ce que clame la « gorge profonde » turque, un infiltré anonyme et fort intéressant, qui envoie ses touits sous le pseudo de Fuat Avni,https://twitter.com/fuatavni_f . Il a une avance remarquable pour révéler les plans nuisibles du gouvernement. Maintenant il dit qu’Erdogan a donné l’ordre d’abattre les avions russes en Syrie tout en prétendant qu’ils ont pénétré dans l’espace aérien turc.
Les forces turques ont déjà abattu un drone, et disant qu’il était russe. Au même moment, ils lancent des opérations contre les Kurdes syriens, les alliés préférés des Américains. L’opposition turque insiste, la grande attaque terroriste contre la manifestation pacifique kurde à Ankara (95 morts, 215 blessés) perpétrée par Isis a été utilisée, voire suggérée par Erdogan. Si l’on garde en tête le fait qu’Erdogan était l’architecte d’une nouvelle politique de paix envers les Kurdes turcs, c’est particulièrement déplaisant.
Erdogan a perdu ses alliés. Les US préfèrent les Kurdes, et sont stupéfaits que les Turcs les bombardent tout en déclarant qu’ils se battent contre Isis, principal ennemi des Kurdes. Il n’est pas sûr qu’ils viennent à la rescousse pour protéger Erdogan en cas de problème avec les Russes.
Son seul bon moment, il l’a dégusté ces jours-ci, lorsque Fau Merkel lui a donné trois milliards d’euros pour retenir les réfugiés, à condition qu’il arrête leur exode. Elle a en outre promis des voyages sans visas et quelques autres menues faveurs pour lui remonter le moral.
Mais le pire est à venir. Sous le coup de l’offensive menée par la Russie en Syrie, les djihadistes ont commencé à se replier sur la Turquie. Ils se rasent la barbe et foncent tant que c’est possible. C’est un grand soulagement pour la Syrie, et la Turquie va faire le plein de gangs. Certains observateurs disent déjà que la Turquie sera la prochaine Syrie.
Lors d’une rencontre confidentielle, Erdogan a menacé Poutine d’envoyer des dizaines et des centaines de milliers de combattants en Syrie, assez pour compenser tout avantage que la coalition russe pourrait avoir. Il peut s’appuyer sur les coffres forts des Saoudiens, et peut-être sur un clin d’œil américain. S’il le veut, une guerre tous azimuts peut devenir envisageable.
Les Kurdes restent des franc-tireurs ennuyeux pour la Turquie. Ils ont des liens de longue date avec Israël et les US, comme avec la Russie. L’ambassadeur russe à Ankara a récemment été réprimandé parce que les officiels russes ont rencontré les représentants kurdes à Paris ; Les Russes sont en train de mener en douce les Kurdes vers un processus politique, mais les Russes sont bien conscients que les Kurdes peuvent présenter un danger pour l’Etat turc.
Il vaut mieux jouer franc-jeu. Les Russes ne dédaignent pas Erdogan et ses ennuis. Ils ont d’autres intérêts à combiner, depuis les oléoducs et les constructions en projet, avec les investissements multi-milliardaires des deux côtés, et les Russes espèrent que les Turcs resteront bons amis, même si un sérieux ajustement de la politique d’Erdogan en Syrie doit être nécessaire dans tous les cas.
Sous l’angle sunnites-chiites
Encouragé par les Britanniques dans les années 1920 et par les Américains après 2003 en Irak sous occupation, l’inimitié sunnites-chiites ajoute une complication au problème. L’Iran est un allié de Bachar al Assad, et prêt à l’aider, mais les Iraniens, qui sont chiites, ont hésité. Ils craignaient que leur présence sur le terrain soit utilisée pour présenter le conflit comme une guerre entre sunnites et chiites.
L’arrivée des Russes, qui ne sont pas chiites, a résolu l’équation insoluble. Avec leur commandement, la coalition n’a apparemment pas de connotation religieuse. Mais les Etats du Golfe (dirigés par la Troïka Koweit, Qatar et princes saoudiens) qui étaient les plus grands financeurs des rebelles syriens, tentent de jouer cette carte-là. « Votre soutien à Assad, les gens vont l’interpréter comme votre guerre contre un milliard et demi de sunnites », ont-ils annoncé à Lavrov.
« Ce n’est pas nous qui avons mis fin au solide Etat sunnite de Saddam Hussien », rétorque le ministre russe. Certes, les Russes ont soutenu l’Irak de Saddam Hussein, tandis que les US l’attaquaient et ont mis en déroute le gouvernement comme l’armée, créant ce fantôme d’outre-tombe qu’est Isis. Les Russes ne sont pas sectaires ; ils soutiennent l’Irak avec des chiites présents aux postes clés comme ils ont soutenu l’Irak avec les sunnites aux postes clés. Ils soutiennent la Syrie avec ou sans Bachar al Assad. Cela fait partie de leur tradition impériale non sectaire.
Des groupes sunnites extrémistes peuvent jouer la carte du terrorisme. Un groupe de combattants d’Isis a voyagé de Syrie à Moscou en programmant un acte de méga-terrorisme dans le métro de Moscou. Ils ont été arrêtés à la dernière minute avec une bombe de cinq kilos entre les mains. Il y a beaucoup de personnel de sécurité à Moscou et dans d’autres villes russes, ils ont les terroristes à l’œil, mais il n’y a pas de sentiment d’état de siège.
Les Russes essaient de ne pas braquer les Saoudiens et les autres princes du Golfe. Ils ont bien reçu leur ministre de la défense Mohammad bin Salman, le jeune fils du roi Salman. Il a rencontré Poutine deux fois, et il y a des projets de visite royale en Novembre.
A chaque rencontre entre les princes du Golfe et les officiels russes, les princes avancent deux requêtes : Assad doit partir, et l’Iran devrait faire de même. Les Russes rejettent clairement les deux requêtes, disant qu’ils ne peuvent pas le faire et qu’ils ne sauraient dire aux Syriens quel doit être leur président.
« De toute façon, Assad ne nous écouterait pas même si nous le lui demandions. Si vous voulez qu’Assad parte, parlez-lui donc, a suggéré Lavrov, pince-sans-rire. Offrez-lui donc quelques garanties, une résidence, de l’argent. » Mais que valent les garanties après la débâcle ukrainienne ? Le président Yanoukovitch avait accepté toutes les conditions des ministres européens, il avait signé sa reddition, reçu leurs garanties, et le lendemain il a été obligé de prendre la fuite pour sauver sa peau, de justesse. » Certes l’expérience récente de l’Ukraine, de l’Irak, de la Libye, ont rendu la solution en Syrie plus compliquée pour certains…
Partenaires et rivaux
Les Russes tiennent toujours beaucoup à l’amitié avec les Américains. Il n’y a aucun anti-américanisme style tiers monde chez eux. Etant très conservateurs par nature, les Russes préfèrent les Républicains conservateurs aux Démocrates éclairés, quoiqu’ils aient apprécié Roosevelt et Kennedy. Ils ont admiré Reagan, et ils aimeront probablement Donald Trump encore plus. Mrs Clinton ne va pas les subjuguer. Ils préfèreraient avoir les US comme partenaires et amis, quoiqu’ils ne supportent pas de se voir réprimander par les US, ou orientés, comme les « missiles de croisière démocrates » ont tendance à le faire, dans les termes de Justin Raimondo.
Même maintenant ils tentent de présenter leur aventure syrienne comme un effet du partenariat avec les US. Les officiels m’ont dit qu’ils ont proposé un plan d’urgence pour sauver un pilote d’un avion abattu (russe ou américain) parce que les deux pays mènent également des missions aériennes contre Isis. Ils ont été abasourdis par la froideur en réponse des Américains. Ils disent qu’ils font le boulot que les Américains n’ont pas réussi à faire, concrètement éradiquer l’entité terroriste. S’ils soupçonnent que les US avaient un plan fort différent, ils n’en soufflent mot.
Les Russes ont invité une délégation militaire à Moscou pour voir ensemble des aspects techniques de l’opération syrienne : les Américains ont refusé. Les Russes ont proposé d’envoyer une délégation au Pentagone, conduite par le premier ministre Medvedev ; leur offre a été ignorée. Après une longue hésitation, les Américains ont accepté un arrangement pour éviter le risque d’avoir des avions qui se heurtent dans les cieux syriens. Ils sont très malheureux de l’intervention russe, mais ne font pas grand-chose contre elle. Les US ont lâché quelques armes depuis les airs pour les rebelles (surtout des missiles personnels anti-tank TOW) et ils devraient en envoyer encore, sans doute pour essayer de mettre en œuvre la logique afghane consistant à armer les rebelles pour saigner les Russes.
L’ombre afghane
Il est de notoriété publique que les Américains ont attiré les Soviétiques dans le bourbier afghan, ont armé les moudjahidines avec des missiles Stinger et ont épuisé les Soviétiques jusqu’à les briser et les faire capituler à l’issue de la Guerre froide. Mais les contes de fées sont aussi très populaires.
Dans la vraie vie, l’emprise soviétique sur l’Afghanistan était légale, car elle correspondait à une demande du gouvernement légitime. Les US s’étaient emparés de centaines d’Etats avec une semblable légitimité, et dans certains cas (dont l’Afghanistan qui était occupé par les belligérants) avec bien moins de prétextes.
Les pertes soviétiques en Afghanistan ont été modérées (moins de 15000 hommes en dix ans, à comparer avec les 50000 GI américains perdus au Vietnam), le gouvernement avait été stabilisé, les femmes recevaient l’égalité des droits, la vie commençait à s’améliorer rapidement.
La décision de Gorbatchev a forcé les Russes à quitter l’Afghanistan, mais ils avaient été obligés de quitter aussi l’Allemagne, l’Ukraine, les Etats baltes et la Pologne. Il n’y a pas de raison de croire que la campagne afghane ait pesé beaucoup dans l’effondrement soviétique.
L’Union soviétique s’est effondrée parce que ses dirigeants ont préféré dissoudre l’Union, embrasser le capitalisme et rentrer dans le système en égaux, à la rigueur en tant que membres juniors. Une décision étrange, mais c’est ce qui s’est passé. Voilà pourquoi les Russes ne se considèrent pas des vaincus de la Guerre froide. Si l’Occident avait observé certaines règles du jeu élémentaires, la Russie serait restée un membre docile du Premier monde, comme l’Italie ou la France, pour le meilleur et pour le pire.
L’Afghanistan a joué un très petit rôle dans ces évènements, et il est probable que l’aventure syrienne ne donnera pas beaucoup de cauchemars à la Russie moderne non plus.
Le fond de l’affaire
La présence d’Isis en Syrie sera éphémère, probablement. Créé par l’incapacité des US à trouver leurs propres agents pour garder le contrôle du terrain pris au régime de Damas, Isis se retirera à mesure que Bachar regagnera du terrain tout en formant une coalition et un partage du pouvoir avec les groupes d’opposition.
En Irak, ce sera moins facile, Isis contrôle de grandes villes dont Mossoul avec ses deux millions d’habitants. La solution ne peut être que politique, et naître d’un compromis entre chiites du sud, sunnites du centre, et Kurdes du nord, si l’intégrité de l’Irak doit être préservée, comme le préféreraient les Russes.
Au final, les Russes peuvent se retrouver avec une base de Latakia sur le littoral méditerranée parfaitement équipée sur le plan naval, aérien et terrestre, en réponse à la vaste base US du Kossovo, et comme solution aux limites existant sur le Bosphore. Ce sera une nouvelle Sébastopol, la plus grande entreprise russe pour un siècle. Qui est partant pour Poutinegrad ?
Contacter l’auteur : adam@israelshamir.net
Version originale en anglais sur UnzReview.
Traduction : Maria Poumier