traduit de langlais par Marcel Charbonnier
Le discours dObama, au Caire, fut très beau. Il a bénéficié de la meilleure mise en scène, du meilleur acteur, du meilleur script que nous ayons vu depuis des années : il mérite lOscar des Oscars. Les élites américaines au pouvoir ont remonté leurs socquettes et elles ont donné à leur pays le dirigeant le mieux à même den améliorer limage terriblement dégradée. Obama est un modèle de leader de nouvelle génération, que lon ne trouve pas encore en dehors des Etats-Unis. Cest un grand orateur, plein de charisme, grand, élancé, jeune. Il la prouvé : oui, il peut ! Notre amie Cynthia McKinney, ex-candidate à la présidence américaine, a expliqué le phénomène Obama : « Les choses ne se produisent pas comme par enchantement, dans la politique américaine, et cest sans doute le cas, aussi, partout ailleurs dans le monde : on navait encore jamais vu quun parfait inconnu accède ainsi au Sénat sans problème, puis être candidat à la Maison Blanche seulement deux an après. Les choses ne se passent pas comme ça, tout simplement : à moins que tout ça ait été planifié ?… »
Apparemment, Obama a été désigné pour faire la paix avec le monde musulman. Un Président des Etats-Unis nest pas un potentat omnipotent : cest plutôt un acteur, choisi par un producteur et un metteur en scène dans les coulisses afin de remplir cette fonction cruciale. Ce nest pas non plus lui qui décide de sa politique. Cest pourquoi ses mots et ses actes sont importants : ils incarnent la volonté de changement des élites au pouvoir. Ce changement est nécessairement lent, car ce porte-avions géant quest lAmérique ne saurait renverser la vapeur sur un simple claquement de doigts.
En ces temps de changements, de priorités labiles, il est évidemment difficile de prédire la suite des événements, car elle dépend aussi de nous. Le monde a besoin dune Amérique davantage nombriliste, mais une Amérique ne serait-ce que moins agressive représenterait déjà une avancée. Rétrospectivement, lhostilité américaine envers le monde islamique a connu une flambée en 2001, elle a atteint un apex en 2003, puis elle a perdu son élan et elle semble désormais terminée. Ces années de guerre contre lIslam nont pas été particulièrement plaisantes, ni bénéfiques pour lAmérique. Le moment est venu de changer de priorités. Le bestseller Les Cerfs-volants de Kaboul, de lécrivain américain dorigine afghane Khaled Hosseini, nous propose un autre schéma : le héros de ce roman est musulman, de naissance et de tradition, il hait le clergé musulman, aime le whisky, adore lAmérique et Israël et il ne peut voir la Russie, même en peinture. Ce héros négatif admire Hitler, cest un pédophile et un violeur et bien sûr -, cest un combattant Taliban. Dans le roman, la persécution dune minorité ethnique tient lieu dhistoire juive. Ce roman est une illustration éclatante du degré dintégration de musulmans non-religieux tels que Khaled Hosseini dans la narration américaine.
Bon. Pourquoi pas ? Les Etats-Unis sont un pays politique, et non pas un pays ethnique, et les musulmans peuvent y être admis. Admis, ils le sont, dailleurs – souvent. Bien que les non-Américains imaginent, bien souvent, que les élites américaines se composent de White Anglo-Saxon Protestants (WASPs) et de juifs, on y trouve des gens de toutes sortes, des immigrés venus de tous les pays du monde. Cest là une source de puissance : lAmérique peut trouver très facilement chez elle un Russe, pour parler avec les Russes ou un Chinois, pour parler à la Chine. Les musulmans réussissent fort bien, en Amérique (certains dentre eux sont immensément riches).
Ce tournant se traduit par un coup sur la tête du Lobby sioniste. La droite juive sioniste abusait de la patience américaine depuis bien trop longtemps. Cest tout bête : les sionistes ont surestimé leur emprise sur la présente administration. La mise à lécart de Charles Freeman fut leur dernière victoire à la Pyrrhus. Larrivée dun Netanyahu au regard extatique prêchant lAmalek fut une étape supplémentaire de leur déconfiture. « Amalek » est un nom de code pour le déclenchement dun génocide, cest la sténo qui sert à demander à Obama de massacrer les Iraniens jusquau dernier bébé et jusquau dernier chat. Même pour un Obama à la patience dange, cen fut trop.
Cest ainsi quun rêve devint réalité : après un long pouvoir, exercé par le centre-droit juif, les positions dinfluence sont passées entre les mains des juifs de gauche. Nallez surtout pas imaginer que leurs positions seraient anti-israéliennes. Certes, la droite juive israélienne et américaine abhorre Obama, mais la gauche israélienne a aimé son discours : il aurait pu être écrit par Yossi Sarid ou par Uri Avnery. Il a bien plu aussi à J-Street, un lobby américain juif de gauche
Cela ne doit pas nous surprendre. Dans une interview accordée à un quotidien israélien, il y a un an, Obama a qualifié le roman Le Vent jaune de David Grossman douvrage « qui a influencé son point de vue ». Cest un livre magnifique, probablement la meilleure non-fiction dun écrivain hébraïsant, qui porte sur la situation actuelle, décrivant les horreurs du règne des colons dans les territoires occupés. Grossman est une icône de la gauche sioniste, il est le fondateur de laile gauche du parti Meretz. La divergence entre lAmérique et Israël, entre le grand Etat juif et le petit Etat juif, est désormais une réalité : Barack Obama et son administration se situent au centre gauche, tandis quIsraël et ses partisans aux Etats-Unis sont très à la droite du centre.
Il y a, de cela, quelques années, Ariel Sharon, alors Premier ministre dIsraël, avait dit que le peuple juif contrôlait lAmérique. Après les dernières élections, le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a donné sa version personnelle de cette maxime : « Israël contrôle lAmérique ». Il sest montré là exagérément optimiste et par trop simplificateur. Sans doute les juifs américains occupent-ils beaucoup de positions de pouvoir, sans doute se préoccupent-ils énormément du sort de lautre Etat juif, le moyen-oriental, mais leurs priorités nen restent pas moins normales : lAmérique passe avant, et ils nont pas lintention de la perdre à cause de leurs cousins doutremer
En 2001, jai comparé les juifs des Etats-Unis au personnage de la sur aînée, dans le roman TheBig Sleep de Raymond Chandler [ce roman a été traduit par Boris Vian, sous le titre Le Grand Sommeil, ndt], qui couvre les crimes de sa cadette devenue cinglée. Vous vous souvenez sans doute du meilleur film américain de tous les temps qui en a été tiré, sur un script de William Faulkner et sous la direction dHoward Hawks, un film interprété par les immenses stars Humphrey Bogart et Lauren Bacall. Tant que la dissimulation organisée par son aînée tient le coup, la jeune sur senferre dans lidée quelle jouit dune totale impunité et elle donne libre cours à sa folie meurtrière. Mais arrive le moment où ses crimes mettent en danger la position apparemment inexpugnable de la sur aînée. Ce nest quin extremis quune Lauren bien mal inspirée doit demander laide du bel Humphrey pour pouvoir maîtriser la jeune fille totalement cinglée, avant quelle ne fasse tomber le toit de la maison sur la tête de ses supporters frappés de cécité, avais-je écrit. Et voilà que, huit ans plus tard, Bogart Obama fait son entrée en scène
Ne vous attendez pas à ce que les juifs américains se précipitent, en larmes, en Israël. Aux Etats-Unis, la position des juifs reste très forte et Obama a répété, tel un perroquet, leur narration sionoïde : après lHolocauste de six millions de juifs (un chiffre dont je ne saurais trop vous déconseiller de douter !), le peuple juif, après ses souffrances multiséculaires, est venu sur la terre de ses ancêtres et les liens qui unissent lAmérique à ce peuple sont « indéfectibles ». Toutefois, le lobby juif de droite, les « Likoudniks américains », comme on les appelait, ont subi une défaite. Désormais, nous pouvons dire que la déconstruction de Bernie Madoff nétait pas un accident, mais bien une attaque directe contre leur capacité à influencer la décision politique : beaucoup dindividus et dorganisations juifs de droite y ont perdu leur fric superflu, ce nerf de leurs manigances.
Une salve davertissement avait été tirée contre eux, il y a quelque jours, un survivant de lattaque israélienne contre le navire de guerre américain USS Liberty, en 1967, sétant vu remettre lEtoile dArgent de la bravoure militaire [Silver Star for valour], avons-nous appris. Les médias américains consensuels (dont beaucoup sont détenus et dirigés par des juifs) ont intentionnellement occulté cette information, comme une requête sur Google avec les mots clés « silver star Halbardier » le démontrera. Un lecteur attentif pouvait néanmoins la trouver sur un site dinformation militaire américain, cela suffisait. Le lecteur de journal ou le téléspectateur américain moyen a été privé de cette information, bien quelle fût excessivement importante : après quarante ans de dénégations, la haute hiérarchie militaire américaine admettait que son meilleur allié, Israël, a intentionnellement et en toute connaissance de cause attaqué ce navire de reconnaissance américain au moyen de torpilles et davions de chasse, tuant et blessant les deux-tiers de son équipage, tandis que le Président Lyndon B. Johnson couvrait le massacre sans réagir.
Ce silence de mort des médias était en réalité aussi important que des infos : il a eu pour effet davertir ladministration américaine quelle devait agir conformément aux desiderata des magnats des médias et quà défaut, ses faits et gestes ne parviendraient jamais aux yeux ni aux oreilles du peuple américain. En dépit de son blogue et de ses contacts informels avec des centaines de milliers de citoyens américains, Obama est obligé den passer par les médias, pour pouvoir parler réellement à ses citoyens. Or, les médias de droite peuvent être un ennemi implacable, comme le montre une caricature publiée dans le New York Post [suggérant que le plan de relance américain aurait été mis au point par un singe].
Beaucoup damis de la Palestine, dont Noam Chomsky, ont trouvé imparfait le discours du Caire. Bien sûr, Obama na pas pu aller aussi loin quil laurait souhaité. Ses partisans sont dauthentiques sionistes et des crypto-sionistes, et non pas des Gentils auxquels la question du Moyen-Orient indifférerait. Il est déjà merveilleux quil soit allé aussi loin : il a, en effet, promis de retirer ses troupes de lIrak et de lAfghanistan, de reconstruire ce pays et de consacrer davantage dargent aux aides au développement.
Il a confirmé le droit de lIran à utiliser lénergie nucléaire à des fins pacifiques. Il a exhorté Israël à faire preuve de justice envers les Palestiniens
Laissez-le survivre à ce discours et continuer à aller de lavant. Certes, Obama a été très soigneusement sélectionné et promu par les élites, mais cela ne signifie nullement quil nait pas son libre-arbitre. Innombrables sont les rois et les présidents à avoir été élus grâce au fric et/ou à linfluence des juifs, et qui ont changé dattitude, une fois au pouvoir.
Ainsi, de Joseph Staline, devenu un dirigeant soviétique grâce à Kamenev et à Zinoviev, deux puissants Bolcheviques juifs.
Mais, quelques années après son accession au pouvoir, Staline les faisait fusiller, réussissant du même coup à faire descendre le lobby juif soviétique de quelques crans.
Continuons à espérer : cela peut encore se produire, avec Barack Obama !