traduit de langlais par Marcel Charbonnier
Voici, de cela, quelques jours, le grand journaliste anglais Robert Fisk a écrit : « Voici pourquoi Avigdor Lieberman est la pire des choses qui puissent arriver au Moyen-Orient ». Même si nous aimons bien Fisk, nous devons dire quil sest gouré ; il a été emporté par ce passe-temps populaire quest léreintage de Lieberman : il y a bel et bien quelque chose de pire qui est en train de se passer, juste en ce moment précis, au Moyen-Orient. Cest le fait quEhud Barak, le chef du parti travailliste, est devenu le ministre de la Défense du gouvernement Netanyahu. Alors quun gouvernement étroitement de droite, composé de Netanyahu et Lieberman, serait le paria du monde, isolé et hésitant, le même gouvernement, mais avec Ehud Barak à un poste essentiel, sera entièrement accepté par la communauté internationale. Il semble que Barak va contraindre son parti décimé à rejoindre la coalition gouvernementale, et quil sera ministre de la Défense, avec des conséquences désastreuses pour le Moyen-Orient.
Ehud Barak est cet homme qui, voici quelques mois seulement, attaqua Gaza ; il est entièrement responsable des atrocités qui y ont été commises. Si les propos tenus par Avigdor Lieberman sont manifestement irresponsables et flattent les pires instincts des Israéliens, ses aboiements sont considérablement pires que ses morsures. Ehud Barak a déversé des tonnes de mépris sur Lieberman au motif que celui-ci na, en réalité, jamais dessoudé personne. Il na jamais pressé sur une gâchette de colère, a tranché Barak (alors que lui, Barak, si ).
De fait, Barak, Livni et Netanyahu sont unis par leur passé : tous trois furent (sont encore ?) des tueurs professionnels. Livni, comme nous lavons appris juste avant le jour des élections, a servi au Kidon, lunité dassassinats du Mossad. Elle était tueuse professionnelle, et elle aurait empoisonné un scientifique arabe lors dun dîner, à Paris. Barak sest rendu célèbre en assassinant un civil non armé, le poète palestinien Kamal Nassir, à Beyrouth. Netanyahu, quant à lui, a servi dans la Sayeret Matkal, lunité des exécutions ciblées de « Tsahal ».
Naturellement, Lieberman se doit dêtre beaucoup plus violent, en paroles, sil veut se maintenir au niveau de ces assassins professionnels, dans lattention de lopinion publique. Mais il na encore tué personne. Toutes ses menaces nétaient rien dautre que du vent, destiné à la consommation intérieure.
Mais vous nêtes pas obligés de me croire. Lex-président du parti Meretz, M. Yossi Beilin, a révélé que lhomme fort de lAutorité « nationale » palestinienne, lhomme fort Mohammed Dahlan, lui a dit : « Il y a deux personnes que le camp de la paix ne comprend pas, et en cela il se goure gravement : Aryeh Deri et Avigdor Lieberman. Ces deux hommes-là pourraient jouer un rôle clé dans linstauration dune paix, mais au lieu de les faire se rapprocher de vous, vous les envoyez chier. » De fait, les Marocains, emmenés par Deri, et les Russes, emmenés par Lieberman, pourraient parvenir à la paix avec les Palestiniens si une minorité gouvernante, celle, inamovible, de lélite blanche ashkénaze, envisageait un jour une authentique option de paix. Une tâche importante, pour les médias libres, consisterait à démasquer le véritable obstacle à la paix et à éviter de tomber dans le piège consistant à ostraciser un outsider, Lieberman, et à en faire un bouc émissaire.
En attendant, cest Barak (et non pas Lieberman, ni Netanyahu) qui incarne le principal danger immédiat pour la région. Le poète hébraïsant Yitzhak Laor, qui y voit clair, a rappelé, dans les colonnes dHaaretz : « Ce nest que durant le mandat de Premier ministre de Netanyahu quIsraël ne sest embarqué dans aucune opération consistant à raser au sol des villages et des villes, en massacrant des civils, comme lOpération Reddition des Comptes (1993), lOpération Les Raisins de la Colère (1996), la deuxième guerre au Liban (2006) et lopération Plomb Coulé autant de guerres déclenchées et menées par des gouvernements de centre-droit.
Benjamin Netanyahu se voit rappeler en permanence son unique péché : avoir ouvert le Tunnel du Mur occidental, en 1996. Mais, dun autre côté, on ne lui rappelle jamais que cette violente confrontation navait pas dégénéré en véritable bain de sang : cela nétait pas devenu une énième opération résultant en des centaines de morts, en des milliers de personnes mutilées et en une multitude de réfugiés
Quatre ans après lincident du Tunnel du Mur Occidental (dit des Lamentations, ndt), qui sétait produit en 2000, Ehud Barak, cet ange de paix qui accéda au pouvoir avec le soutien écrasant de la gauche israélienne afin de mettre à lécart le « fomenteur de guerres Netanyahu » a tiré profit de la provocation de Sharon sur lEsplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Barak donna lordre à la police dexécuter un de ses plans ourdis à lavance, et décraser ce qui allait devenir la deuxième Intifada.
Le demi-million de munitions tirées durant les premiers mois de lIntifada, avant même que les attentats-suicides eurent débuté, lont été sur les ordres dun gouvernement de gauche. Et les gens de gauche dans les rues, dans luniversité et dans le monde littéraire continuent à soutenir Barak et ses guerres. »
Loin dêtre fasciste, Lieberman a un programme laïc et progressiste. Shahar Ilan, du Haaretz, a conseillé au parti de gauche Meretz de se tourner « vers le public laïc de la classe moyenne, vers ceux pour qui la séparation de la religion et de lEtat, la coercition religieuse, la discrimination en fonction de lignées raciales et le problème de lextorsion des Harédis sont non moins importants que le processus de paix : (vers) ceux qui ont voté pour Nir Barkat, ceux qui ont conquis Jérusalem sans coup férir et chassé la loi des Harédis des rues de la ville. La liste des opprimés de la société israélienne comporte quelque 300 000 personnes, qui ne sont les adeptes daucune religion, qui ne peuvent se marier en Israël et dont ladoption du judaïsme est bloquée par lestablishment rabbinique. On y trouve des centaines de milliers de couples qui ont divorcé et qui sont contraints de subir un processus humiliant devant les tribunaux rabbiniques. »
Ces gens ne rejoignent pas le Meretz. Non : ils vont chez Lieberman et se rangent sous sa bannière laïque-libérale. Ne vous y trompez pas : il ny a là, de ma part, aucun jugement de valeur. Le laïcisme peut être extrêmement cruel, comme lont démontré Lénine et Atatürk. Dailleurs, Nir Barkat, le nouveau maire laïc-libéral de Jérusalem, a inauguré son mandat en détruisant des maisons arabes, dans le quartier de Silwan
Lieberman est plutôt quelquun de comique. Sa marotte, exiger des Palestiniens quils jurent leur loyauté envers lEtat juif a été empruntée mot pour mot au roman satirique Catch-22 de Joseph Heller. « Tous les hommes bons pour le service et tous les officiers dactive doivent signer un engagement de loyauté afin dobtenir leur porte-document contenant leurs cartes détat-major, dans la tente du renseignement, un deuxième engagement de loyauté afin de recevoir leur uniforme et leur parachute, à la tente des parachutes, et un troisième jurement de fidélité auprès de lofficier mécanicien, afin dêtre autorisés à monter dans un des camions qui les amènera depuis leur escadron jusquau terrain daviation. A chaque fois quils se retournaient, les troufions avaient toujours quelque nouvel engagement sur lhonneur à signer. Ils signaient un serment de loyauté pour obtenir leur solde de la part de lofficier des finances, ils devaient en signer un pour obtenir des balles pour leur flingue PX Et même, sils voulaient que les figaros italiens leur coupassent les tifs, ils devaient leur signer un serment de patriotisme » Cette proposition absurde de Lieberman navait strictement aucune chance de passer, mais elle a donné à Lieberman une publicité appréciable.
Pourquoi un journaliste aussi expérimenté que Fisk a-t-il commis de telles erreurs de jugement ? Il avait entendu Lieberman faire référence à la Tchétchénie, en en faisant un exemple positif, et il y a vu une menace : « Attention, ou nous vous ferons subir ce que les Russes ont fait subir à la Tchétchénie ! » Erreur, là encore : les Palestiniens aimeraient drôlement se retrouver à la place des Tchétchènes
La campagne militaire sanglante et cruelle de Moscou contre les séparatistes de la Tchétchénie ne doivent pas occulter les avantages dont jouissent les Tchétchènes : ils sont citoyens de la Russie ; ils sont libres de se rendre partout où ils le désirent, dans toute la Russie, et ils ont aussi le droit daller à létranger et den revenir. Des Tchétchènes occupent plusieurs responsabilités éminentes, en Russie ; cest par exemple le cas du vice-président du Parlement. La majorité des Palestiniens nont pas la citoyenneté israélienne et ils ne sont pas autorisés à circuler et à travailler, ni même à se rendre à létranger. Entre autres, Israël interdit au directeur général de lorganisation palestinienne de défense des droits de lhomme Al-Haqq, M. Shawan Jabarin, de se rendre aux Pays-Bas, où on lattend afin de lui remettre une distinction officielle. La Cour suprême israélienne a confirmé la décision du Shin Bet à son encontre. Les Tchétchènes, eux, voyagent librement ; la Tchétchénie nest pas un bantoustan ; les Tchétchènes, de surcroît, jouissent du soutien de lOccident, ce qui nest (hélas) pas le cas des Palestiniens.
Fisk compare ensuite Lieberman aux dirigeants serbes de lex-Yougoslavie. Là encore : une comparaison sans fondement ! Beaucoup des accusations lancées contre les Serbes de Yougoslavie ont été retoquées par la merveilleuse Diana Johnstone, cependant que les crimes perpétrés dans les Balkans par les bombardiers anglais, allemands et américains ont été largement dénoncés et sont désormais largement connus. Fisk traite Lieberman de « nationaliste russe », mais cela ne montre rien dautre, en définitive, que léternelle suspicion des Britanniques envers les Russes
Lieberman nest certes pas canon ; mais ce nest pas logre que veulent bien nous présenter les élites israéliennes. Nous devons, en revanche, nous méfier comme de la peste des politiciens israéliens propres sur eux, au premier chef desquels Ehud Barak, qui nhésitera sans doute pas à attaquer lIran. A seule fin de se maintenir au pouvoir.