traduit de langlais par Marcel Charbonnier
Les Palestiniens sont le peuple le plus libre qui soit sur Terre. Ils lont prouvé une nouvelle fois, en ce mois de juin, en fracturant les infâmes chambres de torture de Dahlan
[voir http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,489898,00.html ], libérant les prisonniers qui y étaient enfermés et envoyant bouler les petites frappes entraînées par la CIA chez leurs maîtres juifs.
Je suis fier de leur victoire sans pareille : les Américains sont, quant à eux, incapables de se débarrasser de Guantanamo et de leurs autres geôles pleines de millions de prisonniers (plus que dans le Goulag de Tonton Jo Dougashvili) ; les Britanniques sont incapables de démantibuler leurs caméras de surveillance et les Saoudiens sont infichus de se débarrasser de leurs gouvernants inféodés à la CIA. Les gens ne sont pas si nombreux que ça, à avoir réussi à supprimer la machine de la terreur et de loppression, en écrasant ces polices sécuritaires, clones de la Gestapo, qui poussent comme champignons après londée un peu partout dans le monde. Dans la Palestine future, la chute de la Prison de Sécurité Préventive de Gaza sera célébrée exactement de la même manière dont les Français célèbrent la Prise de la Bastille.
Cest la victoire du peuple sur loppression. Mieux : cest la victoire de la loi contre lanarchie, car la Palestine avait, et a toujours, son gouvernement légitime, tandis que lappareil sécuritaire voyou tentait de se placer au-dessus de la légalité. Cest une authentique victoire populaire, car elle a réussi, sans nulle vengeance et sans effusion de sang inutile. Les médias israéliens en ont fait des tonnes avec une soixantaine dhommes de la sécurité, qui demandaient la protection israélienne. Mais, en réalité, même sur ce nombre (extrêmement réduit, quoi quil en soit), plus de la moitié ont demandé à retourner à Gaza. Ils savaient quil ny aurait pas de vengeance à leur encontre, pas de chasse à lhomme, aucune Nuit des Longs Couteaux ni de Procès de Moscou, pour les combattants du Fatah [vaincus] : le peuple a vaincu, il ny a pas de guerre civile, il ny a pas non plus de bain de sang. Les malfrats de la garde prétorienne ont perdu, et une chance de redevenir des hommes soffre désormais à eux.
La magnanimité, la largesse, les sentiments fraternels furent et restent les caractéristiques de cette révolution populaire. Sefforçant de semer la discorde, fidèles à leur habitude, les médias consensuels ont présenté cette révolution glorieuse comme une victoire du Hamas sur le Fatah. Cest une exagération. Le peuple de Gaza sest battu contre les gangs de Dahlan, contre des criminels sans foi ni loi qui tentaient détablir leur règne de la force et de la violence sur lensemble de la bande de Gaza. Les lecteurs de Tolkien se souviennent sans doute de la Bataille de Bywater, où les Hobbits libres écrasent les brutes de Sharkey, quils expulsent du Comté. Ces gangs étaient les restes dune sinistre domination précédente ; ils avaient été mis en place par le Saruman israélien, et leur défaite nétait plus quune simple question de temps. Mais Dahlan ne représente pas, à lui seul, le Fatah ; il en va de même de Mahmoud Abbas, intronisé roi du Bantoustan de Ramallah par les Etats-Unis et Israël. Le véritable Fatah, ce sont Marwan Barghouthi [cette marionnette ? ndt], qui est toujours encagé dans le Goulag juif, ainsi que dautres hommes magnifiques et dautres valeureux combattants qui ont porté haut le nom de la Palestine, depuis la bataille de Karaméh jusquà lIntifada. Ce sont eux, le véritable Fatah, et on garde une place pour eux dans la Galerie des Gloires de la Révolution palestinienne.
Je connais bien les combattants du Fatah ; je les ai rencontrés dans leurs villages, dans les collines de la Palestine, tandis quils prenaient un bref instant de repos après de nombreuses années dexil et de prison. Ce sont de grands hommes, qui ont été tout autant abasourdis par la soumission honteuse dAbou Mazen au diktat israélo-américain que quiconque. La victoire des habitants de Gaza peut les mobiliser pour un ménage en règle de la maison, et leur faire recouvrer les traditions révolutionnaires qui sont les leurs. Dahlan et Rajoub, ces brutes sécuritaires, ainsi que leurs alliés politiques, Abou Mazen et Saeb Erekat, ont usurpé que dis-je, ils ont privatisé le nom du Fatah, exactement de la même manière que les gros bonnets du KGB ont privatisé le communisme et que les élites judéo-mammonites ont privatisé lentreprise libératrice des pères fondateurs de lAmérique. Que les combattants du Fatah ne soient surtout pas affectés par la défaite de Dahlan ! De plus, ils peuvent poursuivre sur leur lancée et se débarrasser de ces loups-garous qui ont usurpé le beau nom du Fatah, au service du Shin Bet.
Jonathan Steele nous a rappelé, à juste titre,
[voir http://www.guardian.co.uk/comment/story/0,,2108820,00.html ]
que le fait d « armer des insurgés contre des gouvernements démocratiquement élus est une marotte des Etats-Unis qui ne date pas dhier, et il nest nullement accidentel quElliott Abrams, vice-conseiller ès sécurité nationale et architecte manifeste de la subversion anti-Hamas, ait déjà été un élément clé dans la fourniture par Ronald Reagan darmes aux Contras qui combattaient le gouvernement démocratiquement élu du Nicaragua, dans les années 1980 ». Mais ces Contras, ubiquistes dès lors que survient une révolution quil sagisse des Chouans de la Vendée, ces Contras de la Révolution française, des Cosaques du Don, ces Contras de la Révolution russe, de lUnita de Savimbi, ces Contras de la Révolution angolaise , avaient effectivement, quant à eux, quelque vérité plaidant en leur faveur et ils exprimaient certains intérêts légitimes. Cest la raison pour laquelle nous approuvons et nous soutenons le caractère miséricordieux de la révolution du Hamas : celui-ci, en effet, est prêt à travailler à la cause palestinienne en associant à son combat les éléments les plus sains [ou plutôt : les moins pourris, ndt] du Fatah.
Cependant, il est des leçons que lon peut que dis-je, que lon doit absolument retenir : la direction du Fatah a succombé à la tentation israélo-américaine à cause de son idéologie déficiente. Le nationalisme, cette arme de désintégration massive, a été exportée vers lEst par les colonisateurs occidentaux afin de diviser pour mieux conquérir. Jusquau 19ème siècle, lOrient ignorait ce quétait le nationalisme, car il était encore uni par la foi et gouverné par ses dirigeants traditionnels, les successeurs de Constantin le Grand et de Soliman le Magnifique. T. E. Lawrence a libéré les bacilles du nationalisme au Hejaz, où il les avait apportés cachés dans sa besace de selle de lIntelligence Service, et cest lui qui a sapé cette belle unité orientale. Il a promis aux Arabes leur indépendance des « Ottomans honnis », mais rien de bon na résulté de leur trahison : les colonisateurs britanniques, américains, puis, plus tard, sionistes, se sont partagé le butin, tandis que les indigènes étaient de plus en plus opprimés.
Le nationalisme est par nature, nécessairement, une sorte didéologie particulariste du style « do it yourself ». En Palestine, en Egypte, en Syrie, cela fut compensé par un socialisme universaliste, mais avec lévaporation de cet élément socialiste, le Fatah sest retrouvé avec son seul nationalisme vicié, condamné à léchec. « Ce sont des nationalistes, comme nous », disent les sionistes de Sharon à Avnery , en parlant du Fatah. « Ils seront très heureux avec un drapeau, un hymne national, un compte en banque en Suisse comme nous ! Ils se contenteront bien dun Bantoustan ou deux »
Mais ce nest pas demain la veille, que les Palestiniens trahiraient la Palestine pour une illusion dindépendance ! Tous les Palestiniens, je veux dire : tous ceux qui habitent en Palestine natifs et immigrants – ont besoin de la Palestine dans sa totalité, et non pas des deux pourcents que représente Gaza, ni des dix pourcents que représente lenclave de Ramallah, mais bien des 100 %. Nous pouvons avoir toute la Palestine ensemble, non pas en la divisant, mais en layant en partage. LIslam est une foi universelle, comme le christianisme, et ses fondements sont plus adaptés à notre Etat universel que ne lest le nationalisme de papa, quil soit arabe ou quil soit sioniste. Un processus similaire est à luvre en Turquie, où le nationalisme kémaliste est devenu un allié des Américains soutenu par les militaires à la pointe des baïonnettes, tandis que le parti islamiste, lui, répond aux aspirations du peuple.
Les peuples de lOrient croient en Dieu ; cest pourquoi la Lumière vient dOrient : Ex Oriente Lux. Par ailleurs, ils savent, dexpérience, que les athées nont ni scrupules ni compassion, alors que nous avons besoin de dirigeants miséricordieux. Ignorez cet épouvantail à moineaux appelé « islamofascisme », ou « danger islamique ». Cest un mythe, créé par Podhoretz et ses semblables ; cest une menace inventée, tout comme létaient le Péril Jaune, le panslavisme ou le communisme. Nous navons pas peur des adeptes de lIslam, nous qui vivons jour après jour avec eux.
Le processus dédification dune nation, en Palestine, est loin dêtre achevé. Un nouveau paradigme doit être trouvé, qui soit à même dunir ses tribus et ses groupes dans une unique société, en démantelant lAutorité Nationale Palestine et lEtat juif, comme la à très juste titre formulé Avrum [Avraham] Burg. La séparation et la tendance à lindépendance de telle ou telle partie de la Palestine savèrent constituer une stratégie défaillante.
La Palestine ne saurait être divisée.
Les amis de la Palestine et les amis dIsraël doivent uvrer, ensemble, pour unifier. Et non pour séparer.