Israel Shamir

The Fighting Optimist

Ils se sont parlé!

ENGLISH TRANSLATION: They Spoke

Leur rencontre, tellement attendue, a été bien plus riche que tout ce que les uns ou les autres avaient pu prédire. L’anxiété était à son comble, et les attentes aussi basses qu’un lourd plafond de nuages juste avant l’orage, d’autant plus que Trump venait de passer par Varsovie, où il avait docilement repris les platitudes de la Guerre froide dictées par ses mentors. Il avait été expédié à Hambourg par l’establishment de Washington avec toutes les mises en garde de rigueur pour une novice au couvent à la veille d’une rencontre regrettable mais inévitable avec un don Juan. Ils ne faisaient pas confiance à un pareil débutant, et insistaient : il ne devait parler à Vlad que sous bonne garde, en présence d’adultes responsables tels tante Fiona Hill (conseillère de Theresa May) ou oncle H.R. McMaster (conseiller à la sécurité nationale US), tous deux bien connus pour leur aversion envers les Russes.

Ils l’avaient prévenu que, à deux pas d’une frappe nucléaire, toute autre réaction serait considérée une trahison envers la « Cité étincelante sur une colline » de Ronald Reagan. Chaque néocon et fanatique de la Guerre froide en Occident y était allé d’un petit avertissement au président : comment faire pour humilier Poutine et le remettre à sa place, plus bas que terre. En fait ils ne l’avaient pas autorisé à avoir une vraie rencontre avec Poutine, en lui bricolant un ordre du jour minutieusement surchargé, avec des conseillers et des ministres, et le tout ne devait pas prendre plus de quelques journées, format Camp David ou approchant. Et ils ont profondément raté leur coup.

La rencontre en marge du G20 était devenue le centre de tout, le G20 est devenu un rassemblement en marge du sommet Trump Poutine. Aucune pause, à partir du moment où ils se sont rencontrés : une grande sympathie réciproque se trahissait dans chacun de leurs sourires. Au début, Poutine était plutôt réservé ; il s’était endurci d’avance en cas de rejet, d’affront, toujours possible, et même d’insulte. Mais Trump a su le mettre à l’aise avec tact.

A la place de la demi-heure prévue, ils sont restés à parler pendant deux heures ; même la tentative de la femme de Trump pour remettre le grappin sur son mari n’a pas été couronnée de succès. Ils ne pouvaient pas s’arracher l’un à l’autre, c’est tout. Après quelques mois de séparation forcée par l’action des duègnes auto-désignées, ils étaient là, ensemble, comme deux compères, à la fin.

Les médias occidentaux, mettant en œuvre tous leurs maléfices pour empoisonner le courant entre les deux hommes, ont parlé de victoire de Poutine, les Russes sont devenus « les patrons », le chien qui a le dessus. Réaction typique, celle du Centre pour le Progrès de l’Amérique (Center for American Progress Action Fund), qui a déclaré que Trump s’était « tout simplement couché devant la Russie, unilatéralement ». Ils espéraient que Trump le vaniteux serait vexé d’être dépassé par Vlad. Nous n’allons pas nous joindre à leurs légions en concédant la victoire à Poutine. Ils ont gagné tous les deux, et c’est nous qui y avons gagné, avec eux.

D’un tel évènement, il est difficile d’attendre des résultats tangibles. Ces choses-là prennent plus de temps. Si cela a créé les conditions pour du travail à deux, cela devrait suffire. Et même à ce niveau, il y a eu des avancées notoires.

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Je me permets de vous suggérer de voir le film d’Oliver Stone « Conversations avec Mr. Poutine », un film long mais qui ne vous décevra pas, comme préambule aux rapports sur la rencontre historique. Dans le film, Oliver Stone pose des questions à Poutine sur les accusations d’ingérence cybernétique dans les élections US, et Poutine lui donne une réponse complète et explicite. Il dit qu’il avait offert à Obama un traité sur la cybersécurité, décrivant précisément ce que les Etats peuvent et ne peuvent pas se faire les uns aux autres dans le cyber espace.

Obama n’a pas saisi la balle au bond, parce que les US croyaient avoir une grande supériorité sur le terrain, et ne voulaient pas se priver de leur avantage. « Selon les déclarations au gouvernement US d’un officier d’intelligence à la retraite, l’administration US avait pénétré le réseau électrique russe, leurs réseaux de télécommunication et les systèmes de commande du Kremlin. Le piratage présumé signifiait que des parts critiques des infrastructures russes étaient dès à présent vulnérables à une attaque par des cyber-armes secrètes américaines », selon l’agence de presse australienne.

Certes les récriminations contre les « piratages russes » sonnent faux, compte tenu que la NSA espionne tout le monde dans le monde entier, y compris la Russie. Des millions d’appels russes sont interceptés par les services secrets US tous les ans, nous a appris Snowden. L’idée de rédiger et de conclure des traités interdisant le piratage agressif arrive au bon moment, c’est une bonne idée. Lors de la rencontre de Hambourg, le président Trump en a convenu,et les présidents ont décidé de nommer une commission bilatérale pour mettre en œuvre un projet de traité. Ce sera bon pour toutes les nations, pas seulement pour les Russes et les Américains, parce que la NSA espionne jusqu’aux alliés des US, comme Mme Merkel en personne.

Le traité permettrait aussi de gérer des virus réellement dangereux, comme le Stuxnet qui a été lancé contre l’Iran, et ses versions les plus récentes, comme WannaCry. Julian Assange nous a révélé l’origine des virus ; ils viennent de l’arsenal de la NSA, et ils ont déjà causé des dégâts, depuis les banques russes jusqu’aux hôpitaux britanniques. La fabrique de virus de la NSA devrait être mise sous contrôle grâce au traité.

L’interférence dans les élections, voilà aussi un autre sujet abordé par les deux présidents. Non pas les sottises proférées sur une interférence russe dans les dernières élections américaines, mais l’histoire bien réelle de l’interférence américaine dans les élections russes, françaises, et partout ailleurs. Le président Trump a apparemment approuvé l’idée que cela devrait relever du traité, et être interrompu. Les guerriers du froid étaient alarmés : comment peut-on comparer l’ingérence russe dans notre processus démocratique occidental ? Cela me rappelle une vielle blague juive, juste avant la Première guerre mondiale :

– Allez, on va se faire quelques Turcs !

– Oui mais s’ils ripostent ?

– Pourquoi feraient-ils une chose pareille ? On ne leur a rien fait!

« Comment pouvez-vous comparer » est une rengaine de prédilection chez les juifs, habituellement brandie chaque fois qu’on compare l’assassinat d’un Juif et l’assassinat d’un Palestinien. Je n’ai jamais pu comprendre : s’il n’y a rien à redire à l’ingérence US dans les élections russes, pourquoi est-ce que les Russes ne pourraient pas s’immiscer dans des  élections US ? Peut-être que les deux présidents se mettront d’accord pour mettre fin à leurs ingérences, mais je n’en mettrais pas ma main au feu.

Ils ont fait un pas un avant sur la Syrie, aussi, en approuvant l’accord préparé par leurs équipes à Amman en Jordanie. Pour la première fois, cet accord contient une déclaration en faveur de l’intégrité territoriale d’une Syrie une et indivisible ; c’est un succès important pour la Russie. S’il a des suites, cet accord entraînera un cessez-le-feu au Sud-Ouest de la Syrie, dans la zone adjacente à la frontière jordanienne, et jusqu’à la ligne d’armistice avec l’Israël sur les hauteurs du Golan.

Dans un élan qui a surpris, Trump a accepté que la zone soit patrouillée par la police militaire russe. Cette suggestion, les Israéliens l’avaient combattue de toutes leurs forces. Malgré leurs visites fréquentes à Moscou, ils ne font confiance qu’aux US. Il devrait y avoir des troupes américaines sur le terrain en Syrie, et il est inacceptable d’avoir des troupes russes sur nos lignes, disaient les politiciens israéliens. Si la police militaire russe vient à patrouiller sur le terrain, dans la région, les Israéliens vont devoir avaler une sacrée couleuvre.

Nuance supplémentaire : la police militaire russe en Syrie a un état-major tchéchène, car ce sont de bons combattants, musulmans de confession, et entièrement dévoués au président Poutine, malgré le fait qu’il les avait combattus et battus, et a su les ramener sous la férule du Kremlin. Il y a eu une époque où les ennemis de la Russie professaient leur amour pour les Tchétchènes, mais c’est bien fini. Maintenant leur dirigeant Ramzan Kadyrov, jadis rebelle et fils de leur président rebelle précédent, soutient ardemment Poutine, et il fait l’objet de campagnes d’exécration parmi les libéraux occidentaux autant que chez les nationalistes russes. L’installation des Tchétchènes dans la police militaire en Syrie est un succès de la politique intérieure de Poutine, particulièrement significatif à la lumière des derniers évènements.

Cette semaine, les autorités russes ont bloqué l’accès public au site de l’extrême-droite nationaliste Spoutnik et Pogrome, comme en rend compte mon perspicace collègue Anatoly Karline. Ce site tirerait son nom des deux seuls mots russes qui sont entrés dans les dictionnaires d’anglais, dit-on. Ce sont des sympathisants des nazis, comme les nationalistes ukrainiens, et cela n’est pas populaire du tout en Russie, le pays qui a porté tout le poids de la guerre contre les nazis. Leur rédacteur en chef a publié un édito le 22 juin, disant que tous les bons Russes s’étaient réjouis quand les Allemands avaient envahi leur pays.

Ils sont aussi extrêmement anti-communistes, et cela n’est pas non plus un point de vue populaire en Russie. Ce site a été monté avec l’aide des services secrets occidentaux afin de semer la discorde entre citoyens russes d’origine ethnique différente, exactement comme la Radio Liberté financée par les US à l’époque soviétique, et par les Allemands pendant la guerre aussi. Ils poussent à l’hostilité entre Russes et Ukrainiens, comme entre Russes et Caucasiens.

De façon typique pour ces organisations politiques, malgré le nom du site (un « pogrome », après tout, c’est un soulèvement contre les juifs) ils sont tout à fait projuifs et ce sont des prosionistes fervents. Autrement, la CIA ne daignerait pas les soutenir. Mais ils ont toujours quelque chose à reprocher à Poutine (ils le détestent), aux Tchétchènes et à leur dirigeant.

A présent, nous constatons que Poutine a eu raison d’encourager les Tchétchènes à se battre pour la Russie. C’est vraiment une bonne idée d’utiliser des musulmans sunnites comme force de police dans cette zone hautement  musulmane et sunnite en train de se libérer de Daech, et les Tchéchènes sont réputés être des combattants féroces auxquels personne n’a envie de se frotter. Il vaut vraiment mieux les avoir du côté de Moscou plutôt que du côté des ennemis, et c’est vraiment aussi utile que de bloquer Spoutnik et Pogrome, toute considération morale mise à part.

Les deux présidents ont parlé de la Corée du Nord. Il y a quelques années, les Russes avaient soutenu les sanctions contre la République populaire démocratique de Corée, nom officiel de la Corée du Nord, et les Américains n’avaient pas eu de mal à faire passer une résolution pour le renforcement des sanctions au Conseil de sécurité. C’est fini. Le mois dernier, les Russes ont pris un virage décisif : maintenant ils sont fermement opposés aux sanctions qui pourraient étrangler économiquement le pays et résolument hostiles à toute action militaire là-bas. La position russe s’est donc bien rapprochée de celle de la Corée du Nord, et, étonnamment, elle est bien plus proche que celle des Chinois, malgré le fait que le commerce des Chinois avec la Corée dépasse largement celui des Russes avec la même Corée. Si les Américains veulent que les Nord-Coréens arrêtent leurs essais nucléaires, a dit Poutine à Trump, ils devraient arrêter de faire des exercices militaires d’envergure. Les Russes veulent aussi encourager le dialogue entre Coréens du Nord et du Sud. Ce dialogue avait été très populaire et productif à une époque, mais les US s’étaient alors mis à interférer dans les élections sud-coréennes, et avaient bloqué les politiciens pro-dialogue. Mais les dirigeants du Nord aimeraient que le dialogue reprenne, ils ne perdent pas de vue la réunification de la Corée. Les Russes et leurs alliés chinois s’opposent grandement à l’installation du système de missiles défensif THAAD en Corée du Sud.

Sur l’Ukraine, les deux présidents ont été d’accord pour instaurer des communications par un canal bilatéral spécial, entre l’envoyé spécial des US et son homologue russe. Ils ont aussi confirmé leur confiance dans les accords de Minsk, et c’est une victoire diplomatique importante pour les Russes. Malheureusement, ces accords n’ont pas empêché les troupes de Kiev de bombarder les villes du Donbass.

Bref, Poutine et Trump se sont débrouillés pour arriver à leurs fins, contre toute attente. Leurs victoires immédiates sont certes modestes, mais ils ont planté le décor pour des progrès. Les prochaines étapes dépendront surtout de l’habileté de Trump pour résister aux pressions, pour se libérer de ses mentors. C’est le premier président américain à faire l’expérience d’attaques médiatiques aussi constantes, et il tient le coup. Il semblerait que ses conseillers le pressent de capituler devant ses ennemis dans les médias et au Congrès, mais c’est quelqu’un de têtu. Il  a aussi découvert que Vladimir Poutine peut être un partenaire et un ami véritable.

Le monde a bien changé : dans les années 1980, les Russes étaient bien contents parce que leur dirigeant Mikhaïl Gorbatchev avait rencontré Ronald Reagan et que les médias occidentaux l’admiraient et l’encensaient. Ils trouvaient tout à fait naturel que Gorbatchev admire Reagan. A l’époque, le soutien occidental était un vrai atout pour un homme politique russe. Gorbatchev était arrivé au pouvoir avec la bénédiction de Margaret Thatcher.

De nos jours, les Russes sont contents d’avoir un dirigeant capable de résister à toutes les pressions, un chef qui est admiré pour sa solidité. S’il est détesté en Occident, ils ont l’impression qu’il fait quelque chose de bien. Il se pourrait bien que les médias occidentaux, s’ils veulent déstabiliser Poutine, commencent à se répandre en éloges dithyrambiques.

Israel Shamir peut être joint  à l’adresse adam@israelshamir.net

Traduction: Maria Poumier

Publication originale : The Unz Review.

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