La Grèce est la perle de la Méditerranée, des générations détrangers en sont tombé amoureux, de Lord Byron à Graves et Fowles aussi. De la philosophie à la feta, de lhistoire au yaourt, de la poésie au miel, ils ont donné lexemple à suivre. Leurs prêtres préservent la foi originelle, leurs combattants ont vaincu Mussolini ; leur Hélène est lépitomé de la beauté féminine. Mais ils font aussi un vin âcre quils appellent raisiné et une authentique musique de bachi-bouzouk qui devrait modérer notre hellénophilie.
Ils viennent de nous donner un autre exemple à suivre : comment prendre les banquiers à leur propre jeu. La victoire spectaculaire du gouvernement de Syriza au référendum a été une surprise : partout, les sondages hésitaient entre un résultat indécis et un franc soutien aux programmes européens, tournant autour de 51/49. Et pourtant, les Grecs ont fermement confirmé le mandat de leur gouvernement. Le problème, qui reste entier, est celui du choix de Syriza et de sa détermination.
Le parti au pouvoir avait pris un risque inutile en convoquant un referendum, puisquils avaient bel et bien remporté les élections avec leurs propres mots dordre quelques mois plus tôt. Cela sous entendait une versatilité, comme sils préféraient perdre et refiler la patate chaude à dautres. Dailleurs, ils navaient fait aucun effort pour gagner : aucune campagne pour le non, pas de couverture médiatique pour les manifestations en faveur du non. Est-ce quils espéraient perdre, ou gagner avec une très faible marge ? Cest possible. En tout cas, le peuple grec a déjoué le stratagème et les somme davancer.
Maintenant, cest au gouvernement dorganiser un Grexit en douceur mais sans retard pour prendre le large et sarrimer à une nouvelle drachme. Lâcher lEurope et lOTAN, voilà qui changerait la donne. Il ne suffit pas de refuser le repêchage.
Les Grecs ont eu raison en refusant de payer leurs dettes, parce quelles leur ont été imposées par le calamar géant Goldman Sachs, selon Matt Taibbi : « la première chose à savoir cest que Goldman Sachs est partout. La plus puissante des banques dinvestissement est un vampire des abysses qui enserre la face de lhumanité, et qui étanche sa soif de sang avec tout ce qui sent largent. » Maintenant nous le savons (et nul besoin dêtre antisémite pour le détester, tentacules compris), cest Goldman Sachs qui a truqué les comptes, prétendant que la Grèce avait une cote de crédit élevée alors quils connaissaient tous lénormité de sa dette. Quand la dette a fait boule de neige, ils ont tiré sur la corde et coulé la notation de la Grèce, sauvant les banques aux dépens du contribuable européen.
Sur 320 milliards deuros, la Grèce en a perçu et utilisé environ 20 milliards, tandis que le reste allait aux banksters. La Grèce ne pouvait pas rembourser : après cinq ans defforts, le pays est affaibli, et encore plus endetté. Laustérité a bousillé vies et infrastructures. Les banquiers avaient prévu de vendre toutes les richesses nationales : ports, chemins de fer, terres ; et vous pouvez imaginer sans risque de vous tromper qui allait racheter tout ça. Les négociations entre lEurope, le FMI et la Grèce étaient malhonnêtes, explique Ashoka Mody dans un essai technique qui a été très lu. Voilà pourquoi les Grecs ont élu le parti dextrême gauche Syriza et sa contrepartie dextrême droite INIL, pour casser les règles du jeu faussé.
La Grèce est un petit pays, et ne pouvait pas avoir le dessus face à lestablishment européen, politique et bancaire. Heureusement, il y a un pays qui est capable dapporter son aide, et qui est prêt à le faire. Cest la Russie, sa sur dans la foi. La Grèce pour la Russie, cest comme lItalie pour les catholiques, comme lAngleterre pour les US : la source de leur culture et de leur religion. Les prêtres grecs sont ceux qui ont apporté sa foi à ce qui allait devenir la Russie. La Grèce et la Russie partagent le même héritage byzantin. Arnold Toynbee, lhistoire britannique, distinguait plusieurs civilisations européennes, les unes avortées (celles de lExtrême Ouest et de la Scandinavie) et deux autres pleinement épanouies ; celle de lEurope occidentale, basée sur lEglise de Rome, et celle des chrétiens orthodoxes, basée à Constantinople. La Russie et la Grèce appartiennent à cette dernière.
LUE est une réincarnation de lempire romain et de celui de Charlemagne. Elle est chez elle en France et en Allemagne, mais est tout à fait étrangère aux Suédois et aux Grecs, aux Lettons et aux Bulgares, aux Ukrainiens et aux Russes. LUE a outrepassé ses limites et a amené des calamités aux ses peuples comme à ses voisins.
Et figurez-vous que ce nest pas la première fois que les Occidentaux colonisent lOrient orthodoxe : en 1204, ils avaient écrasé lempire byzantin et installé leurs propres royaumes et duchés, ensuite abolis par les Turcs. Après que la Grèce ait retrouvé sa souveraineté en 1821, elle est retournée sous la tutelle occidentale, et y est restée. En 1945, les Grecs ont fait un effort héroïque pour faire front commun avec la Russie, mais Churchill a utilisé les troupes allemandes vaincues pour écraser le mouvement indépendantiste grec, tout en installant ses agents à Athènes. La Russie soviétique na pas vraiment fait obstacle, parce que les accords de Yalta mettaient la Grèce dans le camp de lOuest, tandis que la Pologne revenait à lEst. Maintenant, il se trouve que lOuest a mis le grappin à la fois sur la Grèce et sur la Pologne. Les Grecs ont été poussés vers lOTAN et lUE, et ils y seraient restés coincés à jamais, nétait la voracité des banquiers.
La Russie est la seule partie du monde byzantin qui est restée indépendante et fidèle à sa religion. La Russie est un partenaire naturel pour la Grèce et pour ses voisins des Balkans. La Russie peut à présent donner un coup de main à la Grèce, en lui achetant son vin, son fromage, ses olives, qui ne se vendent pas bien à lOuest, en envoyant ses pèlerins visiter les mausolées sacrés sous son cruel ciel bleu, en encourageant ses industries, en donnant un sens à la vie de la jeunesse, au-delà des petits jobs aux basques des touristes allemands. Et les Grecs adorent les Russes, la sympathie est réciproque.
Leurs sympathies pro-russes avaient fait la renommée du parti Syriza et de son partenaire ANEL (certains corrigeraient : leurs sympathies « notoires »). Mais, depuis quils ont été élus, ils se sont mis à jouer Bruxelles contre Moscou, comme une jeune fille qui fait de lil à deux prétendants pour les garder tous les deux à ses pieds. Lexpert grec et avocat londonien Alexander Merkoulis a fait la liste des tentatives russes pour aider la Grèce. Ils ont offert cinq milliards deuros pour construire un gazoduc jusquen Grèce, ce qui permettrait à la Grèce de vendre du gaz à lEurope. Miller, représentant de Gazprom, sest rendu à Athènes avec un dossier tout prêt, mais il en est revenu les mains vides.
Tsipiras avait promis de venir à Moscou pour les cérémonies du 9 mai, et sest dégonflé à la dernière minute. Il a été daccord pour étendre les sanctions contre la Russie, tout en participant au forum de Saint Pétersbourg. Cela a sapé la confiance russe. « Les Russes doivent en avoir vraiment assez de ce personnage qui fleurte et prend la fuite au dernier moment, ajoute Merkoulis.
Cest lhistoire de lUkraine qui se répète. La Russie avait offert dénormes crédits à lUkraine en 2013, elle pouvait racheter sa production industrielle, revigorer son industrie et son agriculture, mais le président Yanoukovitch navait pas osé. Il se retrouve en exil, et son pays est ruiné ; il faudra aux Ukrainiens vingt ans pour retrouver la position quils avaient en 2013, disent les experts de lUE.
La Grèce na aucune envie dentrer en guerre civile, ils en ont soupé en 1945, mais les vieilles blessures peuvent se rouvrir. La zone la plus favorable à la Russie lors de linsurrection de 1945, lîle de Crète, a massivement voté contre lUE, à 75%. Le gouvernement Syriza va tenter de renégocier avec le FMI et avec lUE en jouant de lalternative russe. Mais même sils y gagnent un répit, leur économie ne va probablement pas revenir à la normale.
Le problème, ce nest pas la Grèce, cest lUE. Cette entité a trois objectifs. Cest dune part une coalition de banquiers contre les peuples, dautre part un harnais grâce auquel les US peuvent contrôler une Europe colonisée, et enfin leur outil pour la désindustrialisation et la déséducation dun continent extrêmement développé. Sous le joug de lUE, des hordes de mendiants en provenance de Roumanie, et de réfugiés en provenance dAfrique se lancent à lassaut du Nord. Sous le joug de lUE, la Lituanie jadis industrielle et la Hongrie sont devenues des cas désespérés, tout leur secteur high-tech est parti ailleurs. Sous le joug de lUE, le système de sécurité sociale a été démantelé, tandis que léducation sexuelle des enfants et les petits jeux de genre passent à la vitesse supérieure. Voilà pourquoi les nations, de la Suède à lItalie, de lAngleterre à lEspagne, appellent à en finir avec lUnion européenne.
La Grèce sen sortirait bien mieux hors de lUE, comme tout le monde dailleurs. Signe très angoissant, le ministre des finances Yanis Varoufakis, un négociateur intraitable, fils dun combattant de 1945, capable de ramener son pays à la liberté, a été démis juste après le referendum. Alexis Tsipras va essayer de négocier personnellement, et cest un tendre, disent les Grecs.
Cest malheureusement juste une question de tripes, et de manque de cran. Trop de dirigeants hésitent et sen tiennent à une attitude contemplative, au lieu dagir. Nous avons mentionné Yanoukovitch, mais il y a une longue liste de noms à rappeler, en commençant par Allende, un homme de paix assassiné à la faveur dun coup dEtat. Les dirigeants qui ont fait face au vampire des abysses, depuis Nasser jusquà Poutine, ont été descendus en flammes comme les « nouvel Hitler » du moment, mais de fait ils sen sont mieux tirés. Les US eux, nhésitent jamais, ils foncent : pour faire main basse sur le Panama et la Grenade, pour attaquer lAfghanistan et lIrak, et ce culot à toute épreuve est le secret de leur réussite.
Mais il est trop tôt pour désespérer. Le referendum est une victoire, et une victoire peut faire des miracles, même avec des dirigeants mous et pleutres. Quelle honte, jeter la perle quest la Grèce à ces porcs que sont les banquiers.
Traduction de langlais : Maria Poumier
First published in The Unz Review
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